Voici un espace de danse

Un espace mobile et changeant

Nous vous invitons à y découvrir, au gré de nos correspondances et des sources diverses que nous avons déposées, les réflexions, les recherches, les actions qui nous animent et nous rassemblent. Entre rêve, réveil et sommeil...


Correspondances

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Montpellier, 10 mai 2012

Chères camarades de sommeil,
Nous avons appelé notre groupe Les dormeuses.
Quelle intuition nous a guidées ?
Pourquoi ? Que contient ce mot qui nous a plu ? Le son, si proche de danseuses ? L’inaction ? Le sujet pictural ? Un bijou ? L’aspect définitivement inactuel ? L’impossibilité de récupération, car, l’impossibilité de produire vraiment ? Le silence ? Le temps qui traine ? La respiration des corps ? La chaleur, les songes ? La pensée qui fait son travail sans notre volonté. Maturation lente de la matière où les mouvements comme les mots prennent leur source. Un espace absolument hétérotopique, où chacune reste absolument elle-même, dans son essence. La conscience que l’essentiel se fait à un niveau plus profond que l’action délibérée. Qu’il y a une zone, active moins visible, et qui ne pourra jamais se faire connaître tout à fait. Irréductible, donc, qui ne pourra jamais être un support de communication.
Sommeil, comme lieu du refuge, espace à soi, absolument, que personne ne pourra prendre. Lieu de plaisir ? De repos ?
Promesse de suspension.
Ce mot choisi a bien des choses à nous dire… sur ce que nous venons de vivre ensemble, nos échanges, les sujets abordés… sur ce que nous vivons au quotidien de ce monde et de la danse… sur notre forme de résistance et de création. Le refus de s’inscrire dans des dispositifs préétablis. Le désir de rester dans l’expérimentation, de ne rien contrôler, d’échapper à ses propres contrôles.
Les dormeuses, comme une présence insistante mais infra-mince.
Pleines de temporalités opposées ; celle de l’inactuel et l’intuition de l’instant.
Les dormeuses, comme les fantômes, questionnent la présence. Elles sont comme Madeleine G, un des lieux de l’émergence de la danse. Entre le réel et le plus que réel. Dans le champs de l’espace entre matière et esprit. Nul ne sait ce que sont les danseuses. Danseuses d’Art. Dormeuses. Médium à l’état pur. Elles sont leur propre matière. Ne peuvent être qu’elles-mêmes. Rien de plus. Et c’est ce rien qui interroge ceux qui les découvrent de leur regard, de leurs sens.
Que font-elles ? Que disent-elles ?
C’est comme danser les yeux fermés.

Laurence




Villiers le Bel, 1er janvier 2013

Chères dormeuses,
je vous envoie un petit poème pour vous souhaiter plein de courage et de rêve, d'amour et de danse pour cette année 2013 !
Je vous embrasse bien fort,
isabelle*

LA DORMEUSE

Abandonnée dans sa bergère, elle dort, posée et reposée.
A peine enfoncée dans les coussins où s’imprime son corps - tête, nuque, épaules, bras et coude, où flotte la manche,
à peine enveloppée dans la soie blanche
et bleue de sa robe.
Tranquille et douce, elle dort.
Sa poitrine se soulève ? On le croirait presque.
Et presque on ressent son souffle léger et doux lui aussi.
Un sourire affleure à ses lèvres et rosit ses joues rondes.
Elle semble fragile, l’est-elle vraiment ?
Sa part animale est là, qui veille et qui guette.
Et si on s’approche trop près, le chat pourrait bondir et l’oiseau s’envoler, nous griffant et nous piquant au passage.
Ou bien c’est elle qui, ouvrant ses yeux étonnés, s’élancerait vive et légère pour nous échapper… et laisser s’échapper
dans sa fuite
un éclat de rire cristallin.
Elle semble fragile, mais une force mystérieuse nous tient à distance, retient les gestes, suspend les élans.
Comment l’atteindre ?
Son corps abandonné n’offre aucune prise. Aucune surface rugueuse ou dure qui accroche, rebute ou blesse.
Juste sa peau et le tissu et la chaleur.
Les lignes fluides de son corps nous obligent à glisser,
nous invitent à flotter
avec elle, ou passer notre chemin.
Elle dort.
Le ruban au dessus du chat accompagne son corps, qui esquisse une courbe à la Botticelli.
Petite Venus déposée, flottante elle aussi.
De méandres en volutes, elle parvient à infléchir nos pensées.
Elle sait des choses mais elle ne veut rien.
Elle n’est pas inactive, elle agit autrement.
Elle résiste sans tension et sans arrogance.
Où est-elle, dans quel monde secret ? Dans quel lieu méconnu ?
Que pense-t-elle ? Qui est-elle ?
Il faudrait savoir écouter, pouvoir se lover dans ses parenthèses sensuelles et insolites, céder à sa poésie.
Le temps, lui, cède à sa bienveillance.
Il coule entre ses mains comme le ruban qui retient l’oiseau.
Elle dort,
à la fois lointaine et proche, inatteignable et à portée de main.
Un souffle parfumé nous enveloppe avec elle.
Rose, bergamote, la théière à son souffle mêlée
Elle dort,
Entre le noué et le délié, le couvert et le dénudé. Le clair et l’obscur.
Entre l’ici et l’ailleurs, l’éveil et le sommeil, l’agir et le non-agir.
Entre tenir et lâcher. Lourdeur et légèreté. Entre chuter et se rétablir.
Entre.

Entrez ?



Jean-François Colson « Le repos » 1759, Musée des beaux-arts de Dijon




Montpellier, 18 janvier 2013

Chères dormeuses,

la météo du jour...
Il fait bien froid dehors et il serait doux de rester au chaud dormir, cependant il faut bien sortir pour se ravitailler...
Et oui...!!!
Alors on met ses bottes et un peu d'action.
Nous pourrons ensuite retrouver la douceur du poème d'Isabelle.
On a envie de rester avec elle, dans la douceur et la chaleur.
Merci Isabelle pour ce tableau et sa lecture, pour la danse qu'on y décèle.

Laurence


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Metz, 5 mai 2013


Chère Cathy, 

en réponse à ton courriel je tente de te donner quelques  nouvelles de danse de cette journée *. Nouvelles forcément subjectives incomplètes. Avec une question qui a traversé pour moi la diagonale de cette journée : y a t il aujourd'hui un discours possible pour la danse ?

Une journée touchante, nous étions touchées, mais cette émotion a commencé bien avant le 20 avril. Des personnes sont arrivées depuis la veille souvent de loin, voire de très loin. Plaisir des retrouvailles, Marie Claire la première au coeur de ce qui nous relie a fait quelques rappels, restituer les liens entre Sentiers, le Cratère,  la présence  la fidélité de Laurence Louppe à ceux qui l'ont accueillie. (des lignes à écrire encore)

 Puis nous nous sommes rendus au studio de danse ou Laurence Saboye nous attendait avec une  magnifique installation interactive toute en "suspension": toile, tissage, ballons en l'air, textes en déliés, tapis à ressors, écran lumineux en plein jour comme en plein ciel avec ses passages de fantômes, corps baroques peut-être, corpus aérien.
La danse est faite pour pénétrer les corps avec douceur, délicatesse tout est offert ici dans ce studio de danse pour une légèreté d'être...et par dessous tout le tact du toucher. Une expérience proposée à chacun pour avancer avec ses pas  de danseurs, ne pas se séparer de la danse, de cette danse là, la parcourir avec ce sous titre imaginé dans sa conférence par Daniel Dobbels :
"l'insoutenable légèreté de l'être"; "comment ne pas peser, soutenir la gravité des corps pour que le poids de la gravité puissent être relevé"... 
La communication de Daniel qui a suivi s'est inscrite dans le flux  sensible de ce mouvement magistralement suspendu à notre attention. Comment ne pas  être en pensée avec Laurence
Louppe, "évoquer ses appels généreux".
Une sorte d'apaisement dans le geste de ses paroles qui contrastent avec celui du champ social culturel comptable où l'on tente  aujourd'hui violemment de rabattre la danse dans ses constructions marchandes pour une diffusion banale.

Nous ne sommes pas séparées du monde "Les dormeuses" savent ce qu'il en est de cette extériorité, elles sont là dans le monde comme endormies. Leur sommeil pourtant n'est qu'apparent. Pour notre action nous avons choisi de travailler dans un lieu de passage, traversé d'escaliers, de plateaux suspendus,  de hauts murs et de portes fenêtres. Nous avons tenté de créer les conditions qui permettent  à  ceux qui sont là d'être à la fois dans le plaisir et la pensée, de leur faire confiance pour avoir des émotions douées de qualités intellectuelles aussi bien que politiques.
Sur le fil nous avons imaginé de faire se confronter  des moments de liaisons avec des moments de déliaisons. Avec des fragments de textes,  d'où surgissent un montage aléatoire et anachronique  de lectures   qui entrent en lutte avec un présent et un passé, des pages manquantes mais aussi perdues des fragments épars, nos lacunes assumées mais encore l'ouverture d'un champs de possibilités pour l'A-venir. Nous avons organisé une petite
bibliothèque avec des articles, des ouvrages... Poétique de la danse contemporaine, Nouvelles de danse, ... et avons lu de toutes les manières, lecture sourde  au creux de l'oreille ou inflammatoire, usage de l’écriture (sur une seule ligne). Nous avons écrit le dernier paragraphe dernier chapitre de poétique, et comme arraché les interrogations suivantes tracées aux pinceaux :

Avons nous les outils ?
Les outils sont là
Le seul héritage c'est chercher...

Me revient ce questionnement de la peur de l'oubli, de la perte, l'impossibilité de dire, nos chemins de traverses pour conjurer cela.

Les personnes présentes nous ont faites peu de retour mais l'art est expérience et les mots ne semblaient pas utiles, le silence et l'attention étaient pour nous emplis de mouvements.

Ensuite  nous nous redirigeons vers le studio de danse pour l'atelier sur le paysage avec Nathalie Colentes, Christine Jouve rejoint par Marion. Je me suis éclipsée car j'ai très souvent pratiqué les paysage de Simone Forti... J'ai choisi d'écouter le document sonore installé au rez de chaussé du Cratère ou l'on pouvait entendre une communication de Laurence donnée au
Cratère en 92, (magistrale) un contexte une pensée à l'oeuvre, un partage, de l'émotion. L'atelier  lui s'est vraiment très bien passé tout le monde semblait heureux.

Ensuite c'est Catherine Contour qui offre le thé, "un thé louppien" en souvenir des moments passés avec Laurence. Invitation et préparation ritualisées sur l'art du thé. Une feuille se déplie dans l'eau chaude d'un bol blanc en céramique matériau fragile instable... Nous écoutons la parole de Catherine en cercle silencieusement. Je pensais en l'écoutant mon bol entre les mains que le travail du potier est un langage  du corps comme celui du Théâtre, la danse. La main ne fait pas seule. Nous sommes au rez de chaussé dans un endroit très clair, près du bar, face
à la rue devant une baie vitrée qui nous offre le spectacle animé de la rue qui contraste avec notre situation. J'apprécie cette hétérogénéité du temps de l'espace, des activités.
Dans  le cours de cette journée je croise de temps en temps Philippe du Vignal, me reste cette phrase "c'est une journée difficile pour moi". En fin d'après-midi, c'est absolument saisissant il semble plus ouvert, moins triste.
Joëlle Vellet nous rassemble en fin d'après midi sur le plateau du théâtre pour une table ronde, la communauté se rassemble, se donne de la place, revient sur ses traces, tente de comprendre ce qui arrive. Joëlle a crée les conditions d'un échange totalement ouvert, nous formons une assemblée très hétérogène c'est vraiment essentiel. On déborde un peu, mais non, on est
au coeur de notre sujet ; la pensée, la cohérence de Laurence ce qu'elle a mis en chantier soucieuse de l'expérience sensible, soucieuse de nous donner des outils pour que nous ne devenions pas les jouets de l'institution. Il faudrait poursuivre, envisager de nouveaux chantiers comme ceux là.
Cathy je ne peux pas conclure mais on peut continuer.

T'embrasse fort

Véronique

* Journée du 20 avril 2013 co-organisée par Sentiers et le Cratère : "Laurence Louppe, un héritage sensible et théorique."
Accès au site 



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Bruxelles, 6 mai 2013

Merci beaucoup Véronique pour ces belles évocations. Je peux me peindre
intérieurement quelques moments.
Il semble en tous cas que cette journée d'hommage a été à l'image de ce
que Laurence Louppe valorisait et défendait.
Vous êtes toutes extraordinaires d'inventivité, de générosité et de
sensibilité.
Je retiens de ce compte rendu - mais aussi de tous nos échanges depuis
un moment - que ce que Laurence Louppe nous a insufflé c'est peut être
le désir d'une communauté de parole, mais aussi d'actions poétiques,
sensible et ouverte, qui ne se juge pas. Et que c'est peut-être ça qu'il
nous incombe de perpétuer.
Je t'embrasse
A bientôt

Cathy



Metz, 6 mai 2013


Merci infiniment Cathy pour ton retour, nous poursuivons poétiquement et esthétiquement et c'est en effet essentiel. Pour prolonger ce que tu dis, me vient cette observation qui est qu'il nous faut construire un discours qui prenne appui sur notre expérience, nos réalités de danseurs artistes. C'est un autre lieu, un autre endroit que le journalisme ou le discours
universitaire toujours plus dépendants des cercles dominants du marcher. Je me souviens avec précision comment Laurence Louppe insistait quand nous commencions à parler du mémoire... d'invention en matière de traces, d'écritures de danse, il s'agissait de sortir du discours et  de la caution intellectuelle des cadres dominants universitaires, comme de celui "du goût du jour" que rappelait dans sa communication Marie-Claire en évoquant Laurence Louppe.  On avait d'ailleurs évoqué ensemble avec Laurence Louppe l'idée d'un journal.
Nous pensons que "les Dormeuses" avec le moyen de la correspondance qui est aussi un genre littéraire pourraient trouver matière à s'émanciper des formes de discours dominants et partager leurs visions, parler d'un autre lieu, ouvrir la possibilité de révéler d'autres relations au monde. Notre milieu a besoin de cela, se ressaisir, se donner de l'espace, ne pas
craindre la subjectivité.
Je me suis sentie très libre en t'écrivant car dans une lettre il y a une adresse. On est dans l'intime, cela donne de la liberté...
Je serai à Bruxelles début juin, j'espère te voir un peu.
On poursuit, on construit ensemble.
J'espère que tout cela va produire de la contamination au sens de Cage.
A suivre
Bises

Véronique



Bruxelles, 10 mai 2013

Bonjour Véronique,
je suis d'accord avec toi concernant le besoin d'une autre forme de discours. Un besoin qui n'est peut-être pas généralisé mais qui semble en tous cas nous rassembler.
Dans mon travail, j'y suis confrontée en permanence à cette question. Je suis en contact avec différentes formes de paroles "sur", de paroles "contre"... Beaucoup moins de paroles de l'émergence et du ressenti. C'est normal, dès lors qu'on est dans une forme de publication papier, qui dure, qui s'adresse à un grand cercle, subventionnée en plus, il est nécessaire aussi de renvoyer l'image de ce que la société est et demande. Dans mon cas, je ne pense pas qu'un journal soit le lieu de cette parole que j'ai presque envie d'appeler "naïve" et transparente. Je m'y suis fait à l'idée. La presse est politique, par essence je crois. C'est très difficile d'y rester sincère, même si c'est ce que je recherche à tout prix. Je me sens le plus souvent a-politique dans mes envies et dans ma manière de voir le monde. Les jeux de pouvoirs me désolent, les médisances m'attristent, mais c'est extrêmement difficile de s'en tenir éloignés sous peine de se faire taxer d'hypocrite.
Tu as raison que la correspondance est un lieu de liberté fabuleux. Entretenons-le !
Je serai à Bruxelles début juin, appelle-moi si tu as du temps pour prendre un verre.
0032/485 91 71 09
à bientôt

Cathy



Villiers le Bel, 21 juin 2013


Chère Cathy, chères dormeuses,

J’arrive à me poser un peu pour relire les mails échangés, il y a quelque temps déjà, entre Véronique et Cathy. Je n’avais pas encore réussi à prendre part à cet échange, et aujourd’hui je voudrais surtout revenir sur la question de l’écriture, de cette écriture et cette parole qui nous rassemblent, comme tu le dis Cathy. Cette écriture-là que l’on cherche, souvent péniblement, mais toujours avec ferveur. Elle est peut-être naïve en effet, et aussi transparente, sincère, profonde. Elle n’est ni frivole ni insignifiante. Confrontée à « ce que la société est et demande », que devient-elle, où se place-t-elle ?

Tout d’abord, je m’interroge sur ce que serait cette société, et ce que serait cela qu’elle demande. En tant que danseuse, j’estime faire partie du monde qui m’entoure, de la société dans laquelle je vis. Je ne suis pas ailleurs, dans un monde autre, un monde à part. Mes questions, mes désirs, mes projets s’inscrivent dans cette société. Celle-ci imprègne ce que je produis autant qu’elle en est imprégnée. Par conséquent, « ce que la société est », c’est aussi moi, nous.
Quant à ce qu’elle « demande », qu’est-ce que c’est, en fait ? Qui le définit, et de quelle autorité ? N’existerait-il donc qu’une seule demande ? Emanant d’une masse uniforme de gens ayant forcément tous la même exigence ou les mêmes envies ? Il m’est difficile de croire à cela ou de l’accepter.

Nos paroles, notre écriture comme notre danse sont trop souvent confrontées au dictat de ce que la société est supposée rechercher. Combien de fois nous a-t-on renvoyé à la face notre soi-disant inadéquation à ce qui se fait ou se dit, et par extension à ce qui est digne d’intérêt ? A ce qui vaudrait la peine d’être soutenu et rendu visible ?
Cette confrontation détourne les questions : elle nous amène à nous juger, à remettre en question notre travail – nous sommes de fait placées dans un système de valeurs marchandes et de rentabilité. Elle nous éloigne du questionnement artistique, confisque nos gestes, refreine nos élans, étouffe nos voix. C’est pourtant la légitimité de ce système et de ceux qui le maintiennent qu’il faudrait interroger.
Je ne vais pas me lancer dans une étude humaine et philosophique des termes « valeur », « intérêt » ni même « innovation », puisque ce dernier mot fait aussi partie de l’arsenal des formules inventées par ceux qui établissent les normes et le goût du moment, et dont le sens est par eux prédéterminé. On pourra peut-être réaliser cette étude une autre fois, pourquoi pas. Je constate en tout cas dors et déjà que ces mots sont les instruments de notre exclusion, de notre sidération, de notre immobilisation, de notre silence. Ils ne sont pas « objets d’art », mais la construction perverse d’un processus destructeur, inhibiteur et anti-créatif. Je parle de la création libre et autonome.

Une autre question se pose alors : nous faut-il agir, se risquer dans les espaces qui nous sont concédés pour trouver une place ? Doit-on au contraire rester dans le non-agir pour ne pas entrer dans les jeux de pouvoir, et inventer comme nous le faisons déjà d’ailleurs d’autres espaces possibles – petites hétérotopies, pour rêver, créer, résister ?

Nous avons les dormeuses, et les correspondances que nous écrivons déjà, que nous échangeons. Seront-elles lues en dehors de notre cercle ? Souhaitons-nous qu’elles le soient ? De quelle façon ? Après le temps de l’intime, le temps du partagé plus largement est-il envisageable pour faire entendre cette autre voix de la danse, depuis la danse ?
Depuis la danse justement, en assumant une parole qui n’est ni universitaire, ni journalistique. Ni branchée ni « convenuement » subversive (et si besoin en inventant nos propres mots !).
Si nous faisons le choix du partage, constituer entre nous un comité bienveillant de lecture nous aiderait à clarifier nos intentions et nos choix, à corriger un éventuel lyrisme, à relativiser nos emportements… ou pas ! Une écriture différente n’est pas forcément ringarde ni dénuée de qualité et de sens.

L’espace des dormeuses est un peu comme cette « chambre à soi » : pour écrire, réfléchir, se mouvoir, se rencontrer, dormir. Virginia Woolf, une dormeuse, déjà ?

L’autre point que je voulais évoquer est celui du politique, dont parle Cathy dans son mail. Je suis moi aussi a-politique au sens où je ne me rattache à aucun parti, et où je ne souhaite pas entrer dans les jeux de pouvoir. Pourtant, je suis quand même politique : ma danse est politique, mon corps est un corps politique, reflet de la polis dans laquelle je suis ancrée, que je l’accepte ou la rejette. Politique mais non politicien. Ce que produit mon corps de danseuse est politique, surtout lorsque ça ne correspond pas tout à fait à ce qui est attendu.

Je crois que les choses auront progressé lorsque ce qui émane de nous sera aussi reconnu comme faisant partie de « ce que la société est et demande ». En attendant, comme on se le dit souvent, il y a encore beaucoup à faire !
Alors œuvrons.

Une pensée zen anonyme (recueillie dans l’ouvrage Le chat zen de Kwong Kuen Shan, 2010, éd. L’Archipel, Pocket) :

« Il arrive, ces temps-ci, des évènements étranges dans le monde :
On dit ceci, on dit cela.
Rien ne sert de discuter.
Mieux vaut faire un petit somme. »

Isabelle*


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Montpellier, toujours, 21 juin 2013


Grand merci Isabelle!
En ce soir de fête de la musique assez minable, tu me donnes une perspective.
Grand merci pour cette lettre que je relirai demain tête fraiche, et qui me fait du bien.
Je suis K.O. depuis quelques jours genre "ma santé fut menacée..."
De vieux relents attrapés avec Rimbaud sans aucun doute et qui persistent.
Plusieurs jours que je me dis qu'il faut que je parle à quelqu'un et que je reste muette.
Je ne suis pas parvenue, après cette journée à Alès à formuler quoi que ce soit. J’ai trouvé magnifique cet échange entre Véronique et Cathy.
Cependant, je suis restée muette.
Je crois bien que je me suis encore perdue.
Cette lettre arrive à point, au moment où je me dis qu'il faut que je sorte de ma paralysie. J'ai relu aujourd’hui même des bouts de textes, essayant de réveiller ma pensée, de me remettre en acte. Noyée dans cette sensation de n’être ni ici, ni ailleurs, sans lieu, donc, sans présence. Hors d’état de danse.
Me revient cette idée. Une idée qui me revient sans arrêt depuis que nous sommes Dormeuses.
Je me demande où se trouve la limite entre ce sommeil réparateur que nous défendons et la léthargie qui se rapproche de la figure du cadavre ou la catalepsie du malade.
Encore une fois nous avons choisi un espace de fragilité.
C’est une formule du risque.

“Etre, ou ne pas être, c'est là la question. Y a-t-il plus de
noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches de la fortune
outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et à l'arrêter
par une révolte ? Mourir... dormir, rien de plus ... et dire que par ce
sommeil nous mettons fin aux maux du coeur et aux mille tortures
naturelles qui sont le legs de la chair : c'est là un dénouement qu'on doit
souhaiter avec ferveur. Mourir... dormir, dormir ! Peut-être rêver ! Oui, là
 est l'embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la
mort, quand nous sommes débarrassés de l'étreinte de cette vie ? Voilà
qui doit nous arrêter. C'est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité
d'une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les
flagellations, et les dédains du monde, l'injure de l'oppresseur, 
l'humiliation de la pauvreté, les angoisses de l'amour méprisé, les
lenteurs de la loi, l'insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite
résigné reçoit d'hommes indignes, s'il pouvait en être quitte avec un
simple poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous
une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette
région inexplorée, d'où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, 
et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous
lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ? Ainsi la conscience fait
de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution
blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les
plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à
cette idée, et perdent le nom d'action...”
Shakespeare, "Hamlet", Acte III scène 1 : le monologue d'Hamlet


1931 de Brassaï Opiomane endormie

Laurence



Metz, 23 juin 2013

Bonjour les Dormeuses,
Cela donne à penser de vous lire,   Cynthia Fleury  dans son livre” la fin du courage “écrit que le découragement mène à  la mélancolie, et que chacun peut y surseoir (suspendre) (...).
La mélancolie est un problème de solitude et y surseoir dépend de réseaux, de collectifs ou de capacité de création.

Rêver aussi.

Dormir pour rêver.
Les Dormeuses ouvrent le rêve, ouvrent des espaces, écrivent sur les murs, parlent fort et à voix basse.
Elle disent NOUS la photo de Nathalie Rouvière est très touchante, elle est bouleversante, elle montre un mot  comme une image, le suspend.

J’aime ce texte magnifique que tu  nous donnes à lire, j’aime le relire,  Hamlet s’est battu.

Quand on se bat on peut perdre, mais quand on renonce à se battre on a déjà perdu. Goethe.

...“L’insolence du pouvoir “... Mourir dormir dormir... peut-être rêver.

Comme ça
Bises

Véronique




Montpellier, 23 juin 2013


Merci Isabelle !
Il faut que je trouve les mots pour réagir à ta correspondance.
Ce que tu dis sur la fin; je ne suis pas sûre que ce soit réalisable ou souhaitable.
Je ne suis pas précise.
Il me semble que lorsque les choses font totalement partie d'une société, c'est le moment où elles ne sont plus tout à fait opérantes.
Cependant, pour vivre, les pensées, les actes doivent bien faire partie de cet ensemble... sous forme d'un lien tout de même, avec une micro société où un certain nombre de critères sont compris et partagés, même si elles n'ont pas toujours vocation à s'étendre à l'ensemble et à être reçus par cet ensemble. Cela peut arriver parfois.
Cela revient à cette sombre question de la reconnaissance.
Ou la question de trouver des espaces.
Pour cela il faut agir.
Et c'est bien pour cela que je veux m'atteler à définir ce sommeil dans lequel nous nous reconnaissons.
Sur ses bords il peut être absolument le contraire de ce que nous souhaitons: inertie.
Qu'est-ce qui en fait la source d'un mouvement possible ?
C'est ce qu'il faut que je parvienne à interroger maintenant; pour nous et pour moi.
Et d'autant plus, que j'ai du mal à agir en ce moment.
Pourtant j'ai dit que je voulais amorcer cette question d'une association... avancer sur la question de l'écrit et des Dormeuses...
Il faudrait agir...
Mais si je le dis, si j'ai répondu comme ça hier à ta lettre, c'est que sans doute un mouvement peut venir.
Je t'embrasse bien fort.

Laurence




Bruxelles, 27 juin 2013


Chères Isabelle et Laurence,

vos lettres sont riches de contenu, de réflexions rebelles et de questions pointues. A tel point que je me sens un peu timide de poursuivre. 
Etant en vacances pour l'instant, depuis quelques semaines je prends le temps de vivre à un autre rythme.
C'est une découverte et une expérience que je n'avais plus faites depuis longtemps. Celle de la déscélération. Du ressenti qui prime sur l'obligation. L'état qui en émerge est étrange. A la fois paisible et inquiet. Avec surtout une sensation agréable: celle de m'habiter.
Si je vous parle de ça, c'est que, chose nouvelle pour moi, j'ai commencé à lire et écrire de la poésie. Naïvement. Avec le simple but d'aller au plus près de ce que je ressentais.

Je rejoins ton questionnement sur le sommeil Laurence. Où est la limite entre le sommeil réparateur et nourricier et la léthargie? Entre l'état réceptif d'écoute (de soi et du monde) qui implique beaucoup de "rien" et l'état dépressif? Faut-il se mettre des gardes fou? Tu parles de Rimbaud... Pour être "voyant" il invite au dérèglement des sens. Je me sens également très fatiguée. Faut-il lutter avec cette fatigue, la laisser exister, lui parler ?

Effectivement la fragilité qui semble caractériser la recherche des Dormeuses - mais qui fait partie de toute recherche créative aussi - semble évidente et inévitable. Quand on dort on est vulnérable.

Pour revenir à ta question sur le dedans / dehors de la société Isabelle, je suis d'accord avec toi : on en fait partie et par nos actes (ou non actes) on contribue à produire (même dans le non produire) ce qu'a nos yeux nous (donc elle - a besoin. Je crois que la raison pour laquelle j'écris est de pouvoir laisser décanter tout ce que le monde qui m'entoure me raconte et me bouleverse et d'en choisir des fragments.

Excusez-moi, je ne me sens pas très bavarde... 

Je vous embrasse

Cathy  



Villiers le Bel, 23 juin 2013


Bonjour Laurence,
Oui, je comprends ce que tu dis, j’avais besoin d’écrire cela car j’en avais un peu marre de cette façon que l’on a de nous exclure, de cette violence-là. Cette façon qui n’est pas de prendre en compte une différence, mais de ne pas nous prendre en compte du tout.
Faire partie d’une société, ce n’est pas forcément adhérer à tout ce qu’elle propose ou impose. C’est être là, c’est notre travail sur la présence. Dans cette subtilité. En fait, ce n’est pas tant « réclamer » une place, mais prendre conscience que cette place, nous l’avons, c’est nous, notre corps, elle nous appartient. Et je ne veux pas qu’elle me soit confisquée.
C’est drôle, j’ai une sensation presque de tranquillité, je sens presque se défaire ces liens de « reconnaissance » qui nous contraignent. Si je ne reconnais pas le pouvoir, cette main qui se veut « mise » sur nous, je n’ai plus besoin qu’il me reconnaisse.
Je dis ça car ça m’aide à penser les choses, j’essaie de matérialiser mon ressenti, avec les mots écrits, avec ce noir du trait qui sort de mon corps et de ma tête pour marquer, entacher, perturber ou même embellir le blanc de la page. La page, c’est aussi moi.
Ecrire me donne une présence, une existence.
C’est vrai que notre relation avec notre société nous met dans une espèce de schizophrénie. « Etre ou ne pas être », « être ça et être cela aussi »… Vouloir, ne pas vouloir, ne plus rien vouloir…
Peut-être faut-il écrire beaucoup, tout et n’importe quoi si besoin (je dis ça pour moi), écrire écrire écrire jusqu’à sentir le corps, jusqu’à comprendre et dire enfin.
Voici le sommeil.
Quel est son sens, quelle est sa force ?
Déjà, celle qui désarme car elle n’affronte pas, elle ne répond pas au jeu des invectives qui nous placent dans le même système que celui du pouvoir, dans ses mailles.
Il oppose la présence à l’agitation. La présence qu’on peut faire semblant de ne pas voir mais qui est là. Qui n’est ni gratifiante ni complaisante.
Et puis c’est un refuge. C’est aussi pour nous un lâcher-prise. Une suspension.
Notre sommeil n’est pas inertie, ça se voit bien par nos échanges. Il a tout de suite été un mouvement.
Les dormeuses ne sont ni des « Belles au bois dormant » ni des « Dormeuses du val ». Nous sommes vivantes et nous n’attendons pas de prince, quel qu’il soit.
J’aime à penser que sur la dormeuse, on se penche. On se rapproche pour écouter son souffle. On s’arrête et on dit « chut ! », on ne fait plus de bruit…
C’est à nous de décider et de définir ce que veut dire « sommeil », « agir », « espace ».
« Danse » !
Pour le moment, il faut peut-être ne rien décider mais écrire, danser. Et ce qui doit surgir surgira de lui même. C’est pour ça que j’ai dit « œuvrons ».
Je serais d’accord pour partager nos écrits, nos recueils d’actions, nos états de danse, avec quelqu’un d’extérieur bienveillant, qui puisse nous donner un éclairage, un avis.
Continuons.

Isabelle*


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Metz, 11 août 2013


En état de veille... vous ai-je adressé en avril un texte de Laurence Louppe avec ce titre : "La danse contemporaine face au révisionnisme” *
Laurent Pichaud me l’avait adressée, je ne connais pas la date et la source de cette publication.
Mais en le relisant je le trouve d’une actualité brûlante.

Véronique

* in Lignes 1999/1 (n°36)



Villiers le Bel, 11 septembre 2013


Bonjour chères Dormeuses,
je vous envoie quelques mots de réconfort, venus de Henri Thoreau, dont j'ai retrouvé la trace grâce à une amie danseuse américaine. Ils évoquent le faucon, le génie. Comprenne qui veut :

"Le faucon (hen-hawk) cherche un sanctuaire protecteur. Il évite le fermier. Il ne veut pas se promener dans la basse-cour, il étire ses ailes et il survole. Le faucon est plus à l'aise dans son arbre que sur la girouette, comme le coq ou la poule qui donne ses oeufs au fermier. 
Le fermier a toujours des balles dans son arme pour tirer sur le faucon.
Mais le faucon a son propre chemin, et il est beau."

"C'est le génie qui en nous survole. C'est le génie qui fait l'oeuvre d'art. Le génie, c'est la part sauvage en nous. Rien n'est plus persécuté que ce génie. 
Le génie ne pourra jamais être lauréat : il est incapable d'être un perroquet."

"What we call wildness is a civilization other than our own."

Je vous embrasse, Ladies hawk.

Isabelle*



Villiers le Bel, 14 octobre 2013




Frederick Lord Leighton – Flaming June 1895
Musée d’Art de Ponce, Porto Rico


Isabelle*


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Zurich, 15 novembre 2013





Laurence



Villiers le Bel, 15 novembre 2013

Chères Dormeuses,
j'aime bien ce clin d'oeil au Cabaret Voltaire ! Il me renvoie à cet état de guerre que nous ressentons, dans lequel nous nous trouvons plongées par rapport à la danse aujourd'hui. Cet état bien réel, brutal, arrogant, injuste, qui nous fait partir, nous exiler, nous rend malade, atteint notre corps. Je ressens aussi cet effondrement.
Le sommeil des Dormeuses nous protège. Nous continuerons, organiserons nos rencontres, nos échanges. 
Je serai sur Paris dès le 25 novembre, après un passage à Beauvais la semaine prochaine. J'aimerais aussi te voir Véro, pour un petit café, un déjeuner, une expo ? Selon tes disponibilités.
Je vous embrasse, bon courage Laurence pour ces bouleversements.
A tout bientôt,

isabelle*



Montpellier, 15 novembre 2013


Oui, le Cabaret Voltaire...
J'étais bien émue de me trouver devant.
Je marchais dans les rues de Zurich, comme ça, sans réfléchir. Deux heures à perdre, après avoir visité un luthier...
Juste pour découvrir... je savais bien qu'il était quelque part dans cette vieille ville, ce Cabaret, mais en regardant le plan, je me suis dit que je ne trouverais jamais.
Alors, comme ça, au nez, et surtout, en ouvrant bien mes yeux à tous les coins de rue...
Et voilà. Le voilà!
Figurez-vous que c'est une boutique aujourd'hui, évidemment; et en face, il y a la même boutique que celle dans laquelle nous avons reniflé des savons à Montpellier.
Ces blocs de savons fabriqués avec des trucs naturels et qui sentent très fort... vous vous souvenez? Des savons hypnotiques, qui donnent la faim d'acheter...
Alors, là, vraiment... 
imaginez... 
On sort de la boutique toutes les trois, et nous voilà téléportées devant le Cabaret Voltaire...
Imaginez si toutes ces boutiques de savon étaient des portes donnant sur un espace temps dadaïste inter sidérant!!
De la folie.
mais je pense bien qu'en Suisse, il reste des morceaux de fantasques à recoller.
Pourquoi ne pas s'y employer.
Si je trouve le bon endroit, je vous appelle à fin que vous ameniez vos boites à endormissement technologiques douces.
Alors... cette expérience m'a fait me rendre compte sérieusement, que Zurich n'est pas à côté de Monte Verita... Mais non...
Si l'on fait le chemin, surtout à l'époque de la grande guerre, c'est qu'on a vraiment quelque chose à y faire d'important et de sérieux.
A moins que ce ne soit pour y manger des saucisses qui manquaient cruellement à Monte Verita!
A réfléchir.
NOUS avons du pain sur la planche : dormir très sérieusement, et avec application.
Je vous embrasse fort

laurence



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Neuchâtel, 5 mars 2014


Isabelle! Véro!
Petites dormeuses du soir ou du matin.
Voici quelque chose à partager.
Voilà un dénouement peut-être trop simple à propos de cette question au sujet de ce qui serait de la danse et de ce qui n'en serait pas.
A propos de l'impression que nous avons parfois, qu'il n'y aurait plus que du corps, sans danse.
Question résolue par Laurence Louppe, par la réponse suivante: "c'est celui qui dit qui est". 
Si un chorégraphe, ou un artiste vous affirme que ce qu'il fait est de la danse, il faut le croire.
Il sait ce qu'il fait. Il faut le prendre au sérieux.
Et je suis d'accord avec cela.
Je reprends cette affirmation à mon compte, bien souvent.
Pour permettre à ceux qui ne perçoivent pas la danse d'aller la chercher.
Car il y a peut-être danse et on ne la voit pas; enfermés par nos propres expériences, repères, dogmes...
Pourtant, Laurence Louppe demande aussi de chercher "qu'est-ce qui fait danse?".
Ce qui me confirme dans le sentiment que dans un spectacle chorégraphique, ce qui fait danse, peut être tout à fait minoritaire et caché.
Alors...
La question revient comme un retour, où est-elle, la danse?
Je vois bien qu'en moi, elle a bien disparue, et je vois bien aussi que dans un "élan" dépressif généralisé, elle s'évide des corps dansants... disparait-elle?
Comment affirmer cela sans être réactionnaire? … puisqu'il suffirait que je cherche ce qui fait danse pour la trouver.
Oui, sans doute, puisque tout peut faire danse. Même Laban, l'avait affirmé très tôt, dans ses explorations du geste quotidien, dans l'exploration de ce passage entre ce qui est et n'est pas danse.
Et puis dans mon sommeil, tout s'est renversé.
C'est pas des blagues!!
La danse est là, lorsque le propos est tenu, par une dramaturgie chorégraphique.
Oui, seulement dans ce cas.
Car nous parlons bien de danse dans le cadre du genre spectaculaire, quel que soit son esthétique, anti-spectaculaire ou pas, anti-productrice ou pas...
Dans le cadre de la danse traditionnelle ou de la danse populaire festive, on ne se pose pas cette question.
C'est une évidence; il s'agit de danser et rien d'autre.
Oui, ce qui fait qu'il n'y aurait plus danse, ce serait que l'espace-temps de la représentation ne soit plus tenu par une dramaturgie propre à la danse, par une poésie propre à la danse.
Cela ne veut pas dire que cette dramaturgie ne puisse pas se superposer à une autre dramaturgie, théâtrale, plastique, paysagère, musicale ou conceptuelle.
Mais il faut qu'elle soit bien là, pour que le sens, la voie comme la voix, soient portées par son mouvement.

Allez! Dormons, dormons...

Laurence


Juste de Gand (vers 1435-1480) "Apôtres endormis" 



Villiers le Bel, 25 mars 2014

Laurence, Véro,
me voici titillée par cette pensée sommeillante !
Je me lance dans une réponse rapide, en reprenant trois éléments : 
- c'est celui qui dit qui est
- qu'est-ce qui fait danse?
- tout peut faire danse, 
et je suis bien d'accord avec ce que tu dis Laurence. Quand je suis pleine de doutes, de questionnements, me reviennent aussi les pistes que nous a laissées Laurence Louppe. 
Face à ce que je perçois de la danse aujourd'hui, à ce que je prends en pleine face et en plein corps, la question n'est pas tant, pour moi, "c'est celui qui dit qui est", car certes, c'est vrai ! Mais plutôt la question de la dictature du goût du jour, d'une posture d'occupation des "territoires" physiques et imaginaires de la danse, et d'une confiscation de la parole. Alors effectivement, tout peut faire danse, tout le monde est danseur, et toute manifestation peut être un acte de danse, principalement quand ce sont les décideurs qui nous le disent ou nous l'imposent. Et si nous ne sommes pas d'accord, ou en tout cas si nous éprouvons quelque interrogation, nous sommes vite reléguée du côté des réactionnaires et des ignorantes. De celles qui ne savent pas voir l'innovation, le génie, le progrès ! Parfois, c'est vrai que je me demande où je suis, ce que je fais, à quoi ça sert, comment, pourquoi, etc... 
Quand je suis prise dans le tourbillon de cet abime sans fond des questions sur la danse, je me dis que c'est parce qu'il ne s'agit pas des bonnes questions, qu'il faut poser les choses autrement : avec renversement !
Et là, cette idée de dramaturgie chorégraphique me semble très juste. Qu'est-ce qui fait encore danse quand on a tout enlevé ? Comme dans "the mind is a muscle ", qu'est-ce qui reste encore de danse quand on a tout retiré, tout ce qu'il y a autour, tout ce qu'il y a en plus ?
Et puis je pense tout à coup, pour nous, qu'est-ce qui reste de danse quand on n'en peut plus, quand on est perdue, quand on se sent loin....
Je continue à y réfléchir sous mes draps.
Je vous embrasse les yeux fermés,

isabelle*



Metz, 5 mai 2014


Demoiselles en etat d eveil, je vous lis ce soir en plein hiver New Yorkais en decale avec des accents sur les ai. C est palpitant de vous lire en pleine nuit... A NY la danse semble bien se cacher.... Nous vivons pour nos danses, mais comme abandonnees, la danse est bien une exteriorite, nous sommes touchees par le monde comme s il voulait ne plus nous voir, ne plus vouloir se laisser toucher par ces lignes de force qui traversent depuis toujours les corps. 
Il faut trouver des cachettes et poursuivre en inventant des mots des musiques des positions des flux, des plats, et des partitions.... En corps.
Si les corps marquent un suspens>>> il y a peut etre  besoin de ralentir de faire semblant de ne pas y etre, ruser....
J arrive pas tout a fait à ecrire taper sur ma machine qui me fait des fautes pour m obliger a dire des trucs autrement.
Alors c est vraiment precieux de lire les nouveaux mails et d entendre à voix basse tout ce qui traverse un ocean.
vous embrasse du coeur

Veronique 



Neuchâtel, 21 juillet 2014


Chères petites Dormeuses,
dans les rangements de l'été, j'ai retrouvé sur un bout de papier cela, que j'ai écrit il y a quelques temps en attendant ma puce qui était à son cours de solfège...
C'était dans l'idée d'une suite à propos de "ce qui fait danse".
Cette question évidemment générale, dans mes premiers textes, interroge mon propre cas.
Comme a dit Véro lors d'une correspondance... la mélancolie... la solitude... ne font que pousser d'avantage ce questionnement sur mes profondeurs.
Et le manque d'échanges, de rythmes vivants partagés, m'empêche de trouver les rebonds nécessaires à une transformation.
Voilà. Tel quel:

Une mouche tsé-tsé a du me piquer.
Je dors dans les plis du repli.
Le temps s'étale.
Lignes de chemin de fer infinies.
Traverses habitées par des mousses.
J'attends.
J'entend le sentiment d'attente qui commence à me pincer.
Mon sommeil n'est pas de tout repos.
Il est habité. Par la mémoire.
Les mémoires de mes différentes traversées. Mes chutes. Mes agitations. Mes inerties. La peur.
Toute la terre est envahie de peur.
Comment y résister.
Jusque dans le repos elle vient nous peser.
La danse vient me visiter, comme un fantôme, mais qui ne trouve pas son chemin.
Hébétée, effrayée, elle ne sait comment me trouver.
Elle cherche un espace, un horizon non parcouru; mais tout a déjà été piétiné.
Il ne reste que des débris, des souvenirs de présences, des souvenirs d'espaces entre, partagés, des sensations de souvenirs.
La danse est abimée, mal vêtue, maigre et pauvre, son teint est maladif. Macabre.
Elle a quelque chose de ridicule.
Aurait-elle besoin d'un corps -d'un territoire pour se matérialiser? 
Elle n'en trouvera pas là.
Un corps de passage, oui. Pas d'avantage.
Pas un territoire d'où il serait possible de conquérir...
Pourquoi mon sommeil est-il si profond?
Pourquoi me refuse-t-il la puissance de recevoir, tel un territoire d'occupation, d'être un corps, un avant poste?
Conquérir ou mourir?
Séduire ou mourir?
Prendre les armes?
Dites-moi: où en êtes vous de votre sommeil?
Vous pèse-t-il?

A bientôt.
Je vous souhaite un sommeil doux et léger.
Ne vous laissez pas attraper par ses profondeurs.
Je vous embrasse

Laurence



Metz, 21 juillet 2014


Bonjour les belles endormies de juillet

La poésie est un autre chemin; de plus en plus je pense qu’il nous faut nous battre avec ça.

Un corps sans pensée est un corps vide il faut impérativement continuer à réfléchir sur ce que peut avoir de poétique la danse.
La pensée est “piétinée” comme tu dis, elle est annulée, cela ne fait plus partie du programme il y a des concepts entiers qui sont balayés aujourd’hui.
La danse est devenue exhibitionniste, hystérique, la plupart des formes  vides, inutiles.
Poursuivre malgré tout autrement ailleurs, sans attendre, nous sommes consistantes, méfions nous de la négativité ambiante.
Prendre le risque, nous exposer être porteur d’une pensée.
Une pensée est subversive.
Il faut trouver comme des chercheurs des explorateurs, un geste qui soit porteur d’une pensée.
J’aime bien que tu parles de danse ridicule...
Biz

Véronique



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Neuchâtel, 15 août 2014


Belles dormeuses!
Je vous imagine bien assoupies dans des draps de mousses humides.
Il pleut, il pleut cet été, tellement qu'on pourrait se demander si comme pour Orlando, cette humidité insistante ne prépare pas des transformations...
Que nous dit le monde avec cette pluie et que lui répondons nous?
Ici, c'est le lac qui se couvre de vapeurs étranges, l'eau qui soudain devient foncée, grise, menaçante comme la lame d'un couteau, puis se transforme en un vert des mers du sud...
Le ciel et le lac ne cessent de se répandre et se répondre.
Au dessus, dans la forêt, les vapeurs flottent en traines, cherchant leur chemin entre les branches. 
Le sol se couvre de pourriture, de mousses et de champignons inconnus.
Je cherche au milieu de tout ça, quelle pourrait être mon action.
J'ai plutôt tendance à me fondre dans cette matière environnante.
Evidemment, je ne pourrais pas me fondre dans la matière de la grande ville.
La matière urbaine, ne m'a jamais vraiment intéressée.
Je la trouve trop présente sûrement, trop dominante aussi, et sans doute artistiquement trop évidente.
Une grande partie des arts de la contemporanéité s'appuie sur l'esthétique urbaine pour se définir comme contemporain.
Cela avait du sens dans les années folles, un monde s'ouvrait à la découverte de la vitesse, de la production pour tous...
Mais aujourd'hui... qu'est-ce que ça veut dire... une critique?... sans cesse ressassée et sans aucune efficacité...?....
Ils jouent avec ce modèle devenu dominant, sans trop réfléchir, et ne voient sans doute pas à quel point il nous englue.
Quelle réponse pouvons-nous donner à ce monde?
Une pensée, un geste porteur d'une pensée, un geste agissant.
Porteurs de transformations...
Car on ne peut en rester là.
Je pense à notre ouvrage qui s'éloigne.
Nous sommes trop loin, trop loin, vraiment.
Et il y a tant à faire.
Je vous embrasse

Laurence



Giuseppe Penone Soffio, 1977




Metz, 17 août 2014

Bonjour Laurence endormie aux bords des lacs sombres qui semblent vouloir retenir une action. Une réponse d'endormie. qui n'a pour l'heure que son portable dans son sac en raphia. je suis en partance pour l'Espagne cela va durer toute la semaine. C'est réconfortant et un soulagement que tu entreprennes ce mouvement dynamique en direction des uns et des autres on est un peu tous dans le coton comme si plus rien de consistant ne pouvait nous arriver. Mais nous sommes consistants, il faut dénoncer (quel mot) l'inconsistance. Marie-José Mandzain.
Concernant le texte de Daniel Dobbels* sa confiance nous enseigne que nous sommes vivantes et qu'il est à sa façon un dormeur sur fil, qu'il cache dans son sommeil de secrètes pensées. On devrait lui demander (mais cela ne serait pas courtois) de repasser traverser son texte encore une fois… comme une pratique en corps et encore. Je lis et relis ce texte encore.

Suite

Il faut que l'on se voie que l'on agisse artistiquement même engourdies. Du temps pour se parler s'écouter se donner un a-venir ensemble.
...
Peux tu envoyer cette feuille à Isabelle.
Biz lassives et connectées.

Véronique

* Texte de Daniel Dobbels écrit pour la journée du 20 avril 2013, co-organisée par Sentiers et le Cratère : "Laurence Louppe, un héritage sensible et théorique."
Accès au site 



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Neuchâtel, 9 septembre 2014


Pile ou face



Chères camarades endormies,
je m'interroge encore et toujours sur cette question du sommeil.
Je veux dire que je laisse croitre en moi cette question.
Elle se nourrie toute seule, sans que j'y fasse attention.
Elle est là. Puissante. Toujours.
Je sais qu'elle touche en moi quelque chose de plus personnel que notre lien, de plus intime que le contexte qui nous a fait choisir ce nom de Dormeuses.
C'est un état refuge, à la fois souhaité et craint.
Il me relie directement à mon état de danse passé dont il ne me reste que des sensations fragmentaires, reliées à une suspension légère.
Le plus souvent, ce repos me vient plutôt en négatif; associé à un poids sans fin. Une descente, un écrasement.
J'écoute et j'attends le mouvement de ma matière, son flux, son glissement...
J'espère la légèreté...
Je cherche ce chemin qui...
C'est parfois difficile.
J'essaie de comprendre.
Le côté pile et le côté face.
Je perçois parfois quelques aspects...
Et sans doute qu'à un moment cela aura du sens.
Qu'est-ce qui me pousse toujours vers cette question.
Qu'est-ce qui la rend à ce point vitale.
Je l'ai rencontré le sommeil sous ses différents visages...
Angélique ou mortifère.
Et c'est sa sensation profonde et douce qui m'a toujours attirée.
Je l'associe à un état particulier, qui me fait ressentir à la fois mes profondeurs pneumatiques, "le coeur de l'arbre" 
et ma superficialité aérienne, périphérie extrême de ma peau.
Pour moi, ces deux aspects sont indissociables: respirer et flotter.
Toujours le suspens.
Cependant le suspens n'est ni le côté pile, ni le côté face.
Il est la pièce déposée en équilibre sur sa tranche, prête à tomber ou à s'envoler.
Quand j'associe cet état à celui du sommeil, c'est en réalité à ce moment très fugace de l'endormissement que je pense.
Un moment de glissement, où le poids n'est pas totalement abandonné, il en prend le chemin, et l'esprit se prend de flottaison.
La sensation du "coeur de l'arbre" se confond avec une douce chaleur, air intérieur, air extérieur.
Une immense douceur.

La limite est fragile, entre la vaporisation de la matière et son écrasement.
La volatilisation ou l'ensevelissement.
Le côté froid ou le côté chaud.
Mais qu'est-ce qui maintient cette matière présente, au bord de son effacement certes, mais en suspension.
Au bord de la terre, pas en dessus pas en dessous...
Affleurant la surface de la terre exactement.

Bien évidemment il s'agit de Présence.

Je ne sais pas, je ne sais plus comment je faisais pour surfer avec cet équilibre précaire.
Je voyageais de bas en haut laissant mes appuis quelques secondes au repos vers les  fonds de la terre, pour rebondir vers les airs et surtout, me déplacer à pas légers... 
« Les marionnettes n’usent du sol, comme les elfes, que pour le frôler et pour, à l’élan de leurs membres, grâce à cet obstacle momentané, donner une nouvelle vigueur… » Heinrich Von Kleist, Sur le théâtre de marionnettes.
Je cherche une clef qui était mienne, il y a longtemps, mais ne sais pas même à quoi elle pouvait ressembler.
Et je ne sais pas même pourquoi je cherche cette clef.

Si j'osais, je dirais que ce qui ressemblait le plus à cette clef, c'était peut-être: "je ne sais pas".
Un "je ne sais pas" vécu sans entrave? Surtout associé à une sensation corporelle; un déclencheur.
Mais quel déclencheur?...
La clef en question ne marche plus....

En tête de mon mémoire sur la suspension, rédigé pour Laurence Louppe à Aubagne,
j'avais placé un poème de Guillaume IX, le premier Troubadour, au 12ème siècle.
Il en appelle un retour, une interprétation, un relai...

Je vous embrasse avant de sommeiller peut-être et vous en donne le premier couplet et le dernier.

Laurence



I –       Ferai un vers sur le pur néant :
            Il n’y sera question ni de moi ni d’autres gens,
            Ni d’amour ni de noblesse,
            Ni d’autre chose,
            L’ai trouvé en dormant,
            Sur un cheval.
.....
VII -    Mon vers est fait, ne sais sur quoi ;
            Vais l’envoyer à celui
            Qui, par un autre
            L’enverra là-bas vers l’Anjou ;
            Et lui demande de me faire parvenir de son étui

            La contre-clef.



Metz, 10 septembre 2014

Chères dormeuses douceur des oreillers du blanc du silence
Oui  il nous faut écrire quelque chose sur notre désir, notre sommeil, nos veilles, notre devenir celui de notre milieu qui semble aussi un peu ailleurs, peu de résonances sinon  parfois des nouvelles dans un système dévitalisé  de spectacles à la chaîne, de formes vides,  malines, des corps impensés, qui contrastent avec de très essentielles apparitions et travaux, une créativité toujours renouvelée des processus réactivés.
Me revient  l’appréhension dans les textes de Laurence Louppe comme celui de la préface d’un livre de Jacqueline Robinson  (92) Laurence appréhendait déjà les trahisons, la possibilité d’une fin, comme plus tard dans le texte de présentation et la préface de” La danse contemporaine la suite (07). C’est difficile en ce moment de faire face à toutes ces carences,  ces failles, de s’exposer d’inventer un ailleurs.
On peut  par ex se cacher,  mais rester offensive, le sommeil comme stratégie,  imaginer la possibilité d’une suite  créer du vivre ensemble mais ailleurs autrement.
Biz

Véronique



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Neuchâtel, 28 octobre 2014

Regardez les petites Dormeuses!

Ce que j'ai trouvé... les différences de présence entre Martha et Doris sont frappantes!
Qu'elles sont malheureuses d'être ensembles!

Bises pour la sieste
Laurence

Oh la la!!!

1939 au Mils Collège






Villiers le Bel, 28 octobre 2014

Oui, c'est drôle de voir les différences de présence, d'attitude. Peut-être est-ce ce qu'il y a devant elles qui les met dans cet état ? Incroyable cette photo !
Je vous embrasse,

isabelle*



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Villiers le Bel, 29 octobre 2014

Chères dormeuses,
cette nouvelle semble incroyable, c'est effarant ! Je ressens moi-aussi pas mal de dégoût.
Au sein de l'université déjà, la volonté politique est de fabriquer des gens adaptés aux besoins économiques, aux injonctions du marché de l'emploi. Former les gens en fonctions des postes, non plus stimuler et développer des esprits, des pensées-critiques. Production plutôt que création, rentabilité et efficacité plutôt que recherche et réflexion. Pas de de-venir, pas de cheminement, pas de mouvement. De l'immédiateté concrète, tangible.

En s'attaquant aux conservatoires, comme déjà à l'école, en évacuant la formation artistique, en supprimant les financements et en éloignant les acteurs-artistes, qui la rendraient possible, le pouvoir prépare lentement et surement une masse ignorante, manipulée par l'assouvissement de ses désirs immédiats, par l'illusion d'une culture qui n'est que divertissement et commerce. C'est bien pour ça que je n'ai pas pu continuer à intervenir dans le cadre de la Réforme des Rythmes Scolaires. Ca n'a aucun sens, ce n'est même pas en lien avec la pédagogie de l'instituteur/trice, c'est de l'animation.

On est entré dans le temps du tout festif, du tout accessible à tous. Mais de quoi parle-t-on ? De quel contenu ?
Pour l'Institution, plus on livre de la "culture" facile au peuple, plus on peut le noyer dans l'illusion, la satisfaction à court terme. Pas besoin d'aller plus loin, et tout le monde est content ! 
A la limite, pourquoi former vraiment des artistes, puisque tout le monde "est" artiste, comme
nous le suggèrent les médias, et même les scènes théâtrales. C'est en effet plus facile de dire à tout un chacun qu'il est un artiste, plutôt que de se donner les moyens de le former. Ca coûte moins cher et ça demande beaucoup moins d'effort, d'un côté comme de l'autre ! On fait croire aux gens à la facilité d'accès à tout : information, culture, histoire, grâce à la technologie, mais les contenus sont vides et superficiels. Pire, orientés.
L'important n'est plus le fond, mais la forme qui se doit d'être toujours plus innovante, attractive, festive, séduisante, voyeuriste, et bien sûr rentable... jusqu'à être éliminée pour faire place à la suivante. On remplace "l'innovation périmée" dans les rayons du supermarché de l'Art, pour du neuf, du tout frais, dans un nouvel emballage.
Quand je vois les "productions" de la danse française actuelle, en tout cas du « réseau », de ceux qui ont très habilement su se placer, je me dis qu’ils ne sont pas plus contemporains que Béjart ! Mais que veut encore dire "contemporain" ? Il faudrait y réfléchir.
Je vous avais transmis l'article du Nouvel Obs, je viens d'apprendre qu'Olivier Dubois a créé un concours (!) qui s'appelle "Shake shake shake" !
Et hier encore, je regardais le programme de la 5, "Entrée Libre", où Laurent Goumarre disait que Forsythe est le dernier des grands chorégraphes contemporains encore vivant, après Cunningham, Pina et.... Béjart ! Voilà où on en est ! Sans parler de ce documentaire en trois volets "Let's Dance !"...
Tout ça me mets dans un état d'écoeurement, et me donne envie de dormir !
Démanteler, saper les ressources artistiques à leur base.... le dénigrement de l'oeuvre de Laurence Louppe en fait partie.

J'ai relu dernièrement le livre de Olivier Neveux : "La politique du spectateur", qui questionne la façon dont est traité le spectateur, sa manipulation à travers la victimisation des corps, l'attirance et la fascination provoquée. Il remarque : "la conception du spectateur à qui l'on s'adresse supporte toujours une conception du monde." Il parle aussi de la déformation du sens des mots, comme celui de "performance", utilisé à tort et à travers, qui amène une "confusion avec le milieu sportif et entrepreneurial, induisant la notion de virtuosité mais aussi d'évaluation. C'est ce qui semble bien au cœur de la culture et des arts de la scène aujourd'hui, qui amène la surenchère du mesurable, du quantifiable sous prétexte d’expériences." Produire toujours plus pour jouir toujours plus. Je pense aussi à la nudité, qui me semble presque toujours présentée de façon brutale, arrogante ou en "masse", transformant les corps en matière, amas informe et remuant. Rarement voire jamais de façon intime, sensible. Et son processus est celui d'un défi pour les danseurs, une démarche nombriliste, plutôt qu'un acte poétique adressé au spectateur.

J'ai aussi découvert hier, par une amie, le mythe de Procuste (antiquité grecque), et ça me parait très en lien avec ce que nous vivons actuellement !
Voilà, j'ai été bien bavarde tout d'un coup ! Je retourne m'assoupir...
Bises soufflées,

isabelle*



Neuchâtel, 29 octobre 2014

Oui,
on ne se démonte pas.
Question nudité, c'est autre chose...
encore Martha et Doris.
Présences différentes, tonicités différentes, mais elles sont entièrement là.

Je ne connaissais pas tous ces machins dont tu parles, Isabelle.

Le concours...
Le chorégraphe... j'ai regardé quelques images... le bout du bout. On en est vraiment là?

J'ai vu à Neuchâtel un spectacle -en fait deux pièces- de Tabea Martin...
bon sont pas nus, mais c'est la même chose qui se passe en quelques sortes.
Finissent en slip.
Les corps sont agités de la même façon, comme des choses... mouvement binaire, répétitif, essoufflement qui ne produit rien d'autre que l'impression vague qu'il y a une communauté avec le porno.
J'ai mis ça dans un coin de ma tête et puis j'ai réalisé que oui, cela a à voir avec le porno.
Instrumentalisation des corps objets. Absence totale du sujet.
Et puis par dessus ce mouvement, fatigant sans doute à faire, et en tous cas fatigant à voir, on ironise avec la parole, en décalé.
Séparation totale du corps et de l'esprit.
Le corps du "danseur" est revenu en beauté, avec tout son faste extraordinaire.
Dans cette mythologie de l'extraordinaire, il est toujours nu, depuis quelques temps.
Mais comme du temps a passé, depuis l'époque du bonheur de la nudité, c'est une nudité vide, présente seulement pour faire référence à un corps.
Oui, des corps.
Dans son discours le chorégraphe Olivier Dubois parle d'humanité.
Je n'y vois même pas d'animalité.
Seulement de la chair ou plutôt tas de viande, d'os...
C'est à regretter d'être vivant.
Il y a aussi dans ma tête quelque chose qui trotte et me dit qu'il y a du terreau au totalitarisme là dedans.
Il faut que je réfléchisse.
Nous vivons un temps dangereux.
Que font-ils des spectateurs? Pour qui les prennent-ils, ces humains devant eux.
Comment les traitent-ils. Le viol des spectateurs maintenant...

Regardons plutôt ces belles dames, qui nous proposent des états d'être.

Oublions tout! Bonne nuit! Belles endormies!

Laurence


                   

Doris Humphrey 1923 et Martha Graham 1925 par Nickolas Muray



Metz, 29 octobre 2014

Chères Dormeuses de dos

Holl là là je suis sur le cul encore un concours pour se jeter vite et bien dans la danse et cela à l’initiative d’un CCN....

L’émission dont tu parles Isabelle est hallucinante... Le directeur de ce CCN s’est adressé à “ses” danseurs nus en les appelant  “mesdames et messieurs”  à l’image  la chair affolée  courrait dans tous les sens... impression pénible devant ces discours égocentriques et ces images, j’assiste  comme un témoins à la disparition d’un corps  singulier sacrifié dans une masse indifférenciée,  déshumanisée.

Et puis Olivier Neveux a des positions et des sujets bien intéressants mais sur le théâtre, il enseigne  à Lyon, travaille les modèles  économiques dans la culture,  les inclus dans un cadre critique.

Biz

Véronique



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Villiers le Bel, 3 novembre 2014

Petite réflexion...

Coucou,
je pense aux dormeuses, et me demande : comment nous présenter ? Un groupe, un collectif, un ensemble (je pense à la musique).... et puis je pense à Laban et au mot "Kammer", très approprié pour des Dormeuses ! Un Kammergruppe ? 
Voilà mes pensées de l'instant !
Bisous,

isabelle*   



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Neuchâtel, 23 mars 2015

Bonjour Patrick,*
je te contacte pour t'inviter à passer quelques heures avec un groupe que nous formons Véronique Albert, Isabelle Dufau et moi-même: les dormeuses.
Nous sommes en "résidence" au CND la semaine du 7 avril pour un "Séminaire du Sommeil".
Nous interrogeons notre propre nom, les dormeuses, et les raisons qui nous ont poussé chacune à nous sentir en profonde affinité avec ce nom.
Nous allons recevoir différentes personnes, individuellement, pour échanger, nous questionner sur la notion de "sommeil" tout d'abord,
et nous avons pensé à toi, notamment pour ce travail que j'ai vu sur ton site: "Le sommeil d'un célibataire mis à nu".
Nous aimerions que tu nous parles de ce travail, lire peut-être ensemble "La belle au bois dormant" de Perrault, version originale, pratiquer...
Mais tu as peut-être d'autres pistes à nous proposer.

Ce Séminaire du Sommeil, est une première ouverture de ce groupe de trois, dont les actions pour le moment étaient tenues dans l'intimité, dans le but de construire un Séminaire itinérant, plus largement ouvert.
Cette idée de séminaire est paradoxale, car voilà une forme référencée, de type universitaire en tous cas, c'est à cela que l'on pense, avec des titres de communication...une organisation particulière.
Il s'agit là d'une proposition de danseuses, artistes chorégraphes, dont les formes de communications, d'échanges, naissent dans l'atelier, avec la liberté que cela implique, et un certain rapport aux autres.
Tout cela n'est pas contradictoire avec la capacité de construire des contenus, une rigueur- mais en mouvement.
L'outil primordial est celui du mouvement.
C'est aussi pour défendre cette vision là que nous souhaitons proposer ces Séminaires: donner plus de place à la recherche depuis les outils artistiques, poétiques, s'autoriser à écrire sur le monde depuis nos propres références.
Un de nos sujets est celui du rapport de l'écrit et de la danse.

Voici pour te présenter ce groupe: Les dormeuses.
Danseuses et artistes chercheuses, nous avons partagé des enseignements et une pensée de la danse avec Laurence Louppe. 
Ensemble, de façon informelle et non juridiquement structurée, nous travaillons sur l’étude et le partage des pratiques. 
Nous avons choisi la correspondance pour échanger des récits et nos réflexions. 
Je te rassure tout de suite.
Il ne s'agit en aucune façon de revendiquer ou conserver un quelconque héritage de Laurence Louppe, mais seulement de continuer à travailler avec son accompagnement.

Si tu as un moment pour nous dans cette semaine là, et si cela t'intéresse, ce serait formidable.

Amicalement

Laurence


* Patrick André



Montpellier, 14 avril 2015

Bonsoir Laurence, 

Je suis confus, ton message m'est revenu en tête ce matin au réveil et ma non réponse m'a jeté dans une belle confusion toute la journée. 
Je ne sais si je peux vous rendre service ou simplement vous rendre visite cette semaine mais le temps semble perdu...

Je suis vraiment confus et pas très content de ma conduite. 
Je serais plus disponible si vous me le demandez. 

Je reste à votre disposition et te présente mes excuses les plus sincères, 
très amicalement, 

Patrick 




Montpellier, 14 avril 2015

Bonjour Patrick,
c'est comme ça!
Ne t'inquiète pas.
Je ne t'avais pris ni pour un impoli, ni pour un indifférent.
Je sais que tu ne l'es pas.
Nous nous verrons une autre fois, si tu en as envie.
Christine m'avait dit que tu étais très occupé, donc je ne me suis pas étonnée.
D'ailleurs nous aurions aimé la retrouver aussi, autour de la question de la Veilleuse.
Nous avons exploré l'endormissement, le sommeil, et la question la plus délicate est celle du réveil et de la veille.
Nous avons travaillé avec Elisabeth Schwartz que tu connais et avec Serge Papiernik.
Tous les deux étaient avec nous à Aubagne lors de la formation de Laurence Louppe.
Si tu as le désir de suivre cette aventure, nous te ferons passer des éléments, suite au petit bilan que nous allons faire, et bien d'autres choses.
Nous cherchons des interlocuteurs bienveillants et sincères, pour secouer notre pensée, nos actions.
En tous les cas, de notre côté, nous aimerions bien avoir cette occasion de te retrouver.
Amicalement

Laurence



Villiers le Bel, 14 avril 2015

Chères dormeuses,

Oui, nous devons garder ce contact avec lui. Même si ça n'a pas marché cette fois-ci, la prochaine sera la bonne.
Je suis touchée par sa réponse, et ça me donne d'autant plus envie de le rencontrer.
Je pense aussi que nous pourrions garder ce mail (ta lettre, Laurence + sa réponse) comme correspondance.

J'ai repensé hier à notre séminaire. Je me rends compte comme il est important que l'on se rencontre, physiquement.
Nous avons eu des attentes, des ratés, des surprises agréables, des déceptions. Et aussi des temps d'écoute, de paroles et de lectures très riches et constructifs. Des rencontres nourrissantes. Il y a ce que nous n'avons pas réussi à faire, et tout ce que nous avons ouvert. Tout cela amène le mouvement, les songes, et de belles perspectives pour la suite. 
"Ratez, ratez encore, ratez mieux !" dirait Beckett. Nous apprenons avec nos failles, nos manques. Nous arrivons, petit à petit, à sentir ce que nous pouvons faire, à comprendre la nature et la force de notre sommeil.

Nous écrivons chacune à notre façon les traces, les impressions de ce que nous traversons et avons traversé. Puis nous pouvons mettre nos mots en commun, dans notre espace et notre temps du songe, pour les restituer au monde.
Quatre jours, presque cinq, ont été finalement trop courts pour notre projet de séminaire. Un premier séminaire que j'aurais aimé plus long : la fatigue que je ressens d'un certain monde, d'une certaine danse, me préconise un plus long sommeil !
C'est un vrai plaisir d'être avec vous, et ces moments de recherche, d'échange, sont fondamentaux, essentiels, vitaux. Je me rends compte comme chacune, à votre façon, vous me surprenez, vous m'enrichissez, vous me portez. 
Ensemble, nous avançons vraiment, nous tissons des passerelles pour la danse. Une danse en sommeil et à venir.

Dormeuses encore discrètes, au souffle infime, subtil, nous sommes tout de même présentes. Quelle est cette présence, comment se déplace-t-elle, que peut-elle déplacer ? Le sommeil nous offre, en fait, une large palette de mouvements possibles, de présences possibles. Nous en avons évoqué quelques unes à travers nos lectures, les musiques écoutées, les images. 
Malgré les difficultés, toutes ces questions autour de la visibilité, la crédibilité, l'actualité, la mode, nous avons une place que nous devons protéger et partager. 

Les murs qui nous ont accueillies n’ont pas été édifiés au départ pour la danse. Ancienne enceinte carcérale, ils en gardent la trace, la force oppressive. C’est surement pour cela que je m’y sens comme une autre, un grain de sable dans un rouage immense. Mais aussi, peut-être, le grain de sel qui donne du goût, qui pourrait transformer le goût ?
L'espace est important, il est toujours chargé de sens. Ce lieu-là déploie ses lignes qui écrasent et son vide monumental semblant nous happer. La puissance de son architecture ne se laisse pas encore é-mouvoir par la danse, malgré les efforts qui ne manquent surement pas pour le trans-former. Je ne perçois pas encore la chaleur artistique, la profusion, l'élan, la couleur, le mouvement qui devraient l’animer et signifier d'emblée qu’on est dans la danse, dans l'artistique.
A côté de l'accueil, deux écrans-vidéo déroulent en boucle les bribes d'une danse qui me semble répétitive, uniforme, acérée, des images de corps dévitalisés, impulsifs, nerveux, souvent dénudés, agressifs ou séducteurs. Cette danse résonne en moi comme un produit à consommer rapidement, puis à zapper. Les corps sont dans la communication, non dans la communion. Je n'y reconnais pas ma danse, ni d'autres danses possibles. Seulement la même, seulement du même. 
Alors, dans cet espace, j’ai tendance à me sentir perdue, désagrégée. Mon corps y est comme dans un vide inquiétant, sans réconfort, sans appui bienveillant. L’ensemble reste encore peu accueillant, brut, froid.

Je reviens aux dormeuses. 
Quelle est notre spécificité ? Quelle est la singularité du travail que nous souhaitons mener, de notre parole, de nos actes, de notre écriture ?
Comment peut-on répondre au gâchis programmé ? Quel doit-être le sens et l’enjeu de nos actes ? Comment les porter, les défendre ?
Les mots sont importants quand on parle de la danse. C’est un long travail pour trouver ceux qui soient justes, singuliers, libres, dégagés du mode universitaire ou journalistique attendu, sans usage prétentieux de l'anglais ni recours aux termes convenus. Les mots simples qui nous ressemblent.

Quel est le mouvement du sommeil, de notre sommeil ? Quelle en serait la visibilité désirée, propice, agréable ?

Je vous laisse pour le moment, avec ces songes.
A très bientôt,

Isabelle*



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Metz, 19 avril 2015

Dormeuse avant le sommeil

Bonjour les dormeuses

Voilà je suis rentrée vendredi après ce séjour printanier marqué par nos
retrouvailles et les attaques du monde comme il va... Je retrouve une équipe
artistique demain avec de gros soucis comme l'obligation de faire un emprunt
pour financer le projet. C'est une première.
Je vous parle de cela me demande si c'est un sujet pour dormeuses. Pour
faire de beaux rêves il faudra attendre encore.
Je suis hyper occupée par ce projet qui je l'espère va nous donner du
bonheur jusqu'à début mai.
Je sais que l'on n'a du boulot d'ici juin...
Pensons à la possibilité d’un beau rêve.
Kisses

Véronique  



Neuchâtel, 20 avril 2015

Chères camarades du sommeil,

oui, je pense que c'est un sujet pour dormeuses.
Je ne crois pas que nos projets et actions, pensées, même du quotidien, puissent rester à côté de la correspondance des dormeuses.
C'est un lieu où porter témoignage de ce qui est vécu, ressenti, etc...
Je comprends que tu fasses un emprunt pour aller jusqu'au bout de ton projet.
Des personnes raisonnables te diraient qu'on fait des emprunts pour gagner quelque chose, financièrement j'entends.
Tu vas sans doute avoir à assumer quelque chose de difficile, mais je crois que c'est bénéfique d'aller jusqu'au bout de son projet.
Dans mon cas, c'est justement le retrait de deux diffuseurs, il y a quelques années, qui a commencé à m'ébranler.
Leur désistement de dernière minute a eu un impact sur les subventions de la Compagnie.
Pas sur les leurs évidemment...
Artistiquement, tout était engagé, et même, en grande partie développé; il ne restait que la finalisation.
Cela m'a touché profondément. Comme si cela remettait en question mon travail lui-même.
Je le ressentais aussi comme un musellement.
Heureusement, un lieu d’art nous a ouvert ses portes et nous avons pu donner une forme et rencontrer le public, avec tout ce travail.
Un tel succès que des gens nombreux sont resté dehors, et nous avons du faire une deuxième soirée - à nos frais.
Belle aventure artistique.
Isabelle tu étais là avec tes couvertures, enroulées autour de toi comme une robe de cour.
Belle aventure.
Profite de ce moment!
Bises

Laurence 



Villiers le Bel, 20 avril 2015

Chères dormeuses,

en lisant cette réponse de Laurence, je constate que je n'avais pas reçu le mail de Véro "Dormeuse avant le sommeil".
Est-ce que tu me l'avais envoyé, Véro ?
Je me demande aussi si vous avez reçu la correspondance que j'ai envoyée le 14 avril, en réponse au mail de transfert de Laurence "le sommeil d'un célibataire mis à nu", réponse de Patrick André. Je n'ai pas eu de signe.
Voilà, ne perdons pas notre fil de correspondance, n'oublions pas, non plus, de les lancer.
Je me rappelle aussi la belle aventure des couvertures. Enveloppée et en même tant porteuse... 
La tristesse et la douleur que tout s'arrête.
Je crois aussi que ce que tu nous dis Véro est un sujet pour les dormeuses, c'est important de parler de ça aussi. A la suite de ma dernière correspondance, je me demandais justement comment parler de ces choses qui nous touchent profondément, comment dénoncer certains faits tout en restant justes, sans paraitre vindicatives ni aigries. Sans être dans la dénonciation basique.
Ecrire, d'abord, déjà. Puis ensemble trouver les ajustements.
Je vais m'engager moi aussi dans une aventure de danse, mais je n'aurai pas à me poser toutes ces questions, ces dilemmes, car je n'ai rien...
Je vous embrasse fort, nous faut-il être bien fortes dans ce monde de folie, où nous recevons chaque jour, en pleine face et en plein corps, toutes ces vies assassinées et sacrifiées.
Cauchemar...

Isabelle*



Metz, 21 avril 2015

Bonjour depuis mon réveil

Excuse moi Isa je viens de voir que je n'ai pas utilisé une bonne adresse !

Merci pour vos encouragements et expériences vécue avec "un retournement" des choses à leur "endroit", je pense aussi que nos aventures de dormeuses sont celles de notre vie et c'est notre ligne de force sans cette frontière qui sépare le réel de l'imaginaire...... 
Beaucoup de violence dans les institutions aujourd'hui j'ai encore plein d'échos d'ici et de là.

Belle journée les yeux grand ouvert.
Kisses

Véronique



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Neuchâtel, 4 mai 2015

Bon; super!
L'absence et le rebond: deux éléments fondamentaux de la suspension.
On est en plein dans la question du sommeil et du réveil.
J'ai pour l'occasion remis le nez dans mon mémoire, et j'ai retravaillé dessus.
Le sommeil y est déjà, même si ce n'est pas la porte d'entrée.
Des nouvelles positives, pour vous faire chanter, danser...!!
Et peut-être me faire danser.
Je t'ai écouté Véro et me suis efforcée de danser un peu seule.
C'est dur, mais comme j'accepte que ce ne soit pas facile, je peux le faire, un peu déjà.
Et puis j'ai trouvé un prof Alexander!!!
Alors, j'ai un peu d'espoir, et envisage plus facilement l'idée du réveil.
Apparaître.

Je vous embrasse encore.

Laurence


   

Ma dernière promenade après la pluie. Et retour du soleil.
Fleurs de marronnier dormant sur le sol.



Neuchâtel, 11 mai 2015

Un peu de tristesse

Coucou les endormies du printemps!

En rangeant des livres je suis tombée là dessus: un texte que Jacqueline Robinson m'avait donné en 1997 pour que je lui dise ce que j'en pensais.
Parce qu'elle parlait au fond, de ma génération...

Et puis ceci:
"La pierre endormie
déploie les fastes
de sa mémoire"
Giacinto Scelsi 1955

D'autres de ses poèmes parlent de sommeil.
Je cherche et vous embrasse

Laurence



Villiers le Bel, 1er mai 2015

Quel beau texte, et tellement encore d'actualité !
Oui, il est plus que jamais urgent de s'interroger sur ce mot "fourre-tout" de contemporain, pour l'art et pour la danse, sur le sens de "l'éveil" et de "l'initiation", sur leur nécessité à chaque instant et pour tous, sur ce qu'est la transmission, la course au diplôme, la lutte face aux institutions... Incroyable !
Oui, il faut se battre (mais à notre façon) pour que ces espaces de liberté existent, pour que l'humain ne soit pas systématiquement évincé au profit de la mode et du rentable.
Il me tarde aussi de lire d'autres poèmes de Scelsi. C'est drôle, j'ai regardé hier un très beau documentaire (même si je n'adhère pas toujours à son mode de réalisation), qui redonne un peu d'espoir et de la vitalité. C'est sur une femme qui s'appelle Alice Herz ("La dame du 6" : https://youtu.be/lzNTbSR0FFo ). 
A un moment, elle se rend au cimetière et elle dépose une petite pierre ronde sur la tombe de son mari,
"La pierre endormie
déploie les fastes
de sa mémoire"....

Belles dormeuses, à tout bientôt !
Ecrivons;
Bises de printemps,

Isabelle*



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Metz, 19 mai 2015

Bonjour dormeuses en mouvement.

Merci pour tes observations Laurence, tout cela est très résonnant pour moi,
A la relecture du Compte Rendu je le trouve incompréhensible pour une personne en dehors de nous trois. Il n’a pas été pensé et rédigé dans cette perspective.
Proposition : on le laisse dormir.
Certains points de notre séminaire peuvent cependant nous aider à communiquer. Soyons plus radicales comme tu dis.

Le chantier danse et écriture est immense, nous pouvons à notre manière ouvrir des questions explorer des propositions, prendre position.
Je n’ai pas perso bien accroché avec le texte d’Enora, même si la part de fiction et de d’expériences  réelles est une direction intéressante, je glisse sur beaucoup de ces textes mais cela reste une posture intéressante. Cela serait bien de la rencontrer par exemple, un peu plus tard.
Il y a peu de paroles de danseurs qui ne servent autre chose que le marcher y compris  celui de la pensée du bon ouvrage de danse, le tout avec cette distance bien pensante que réclame la doxa.
Je pense qu’il faut revenir à nos textes : les dormeuses, un texte de présentation, les lucioles,  le sommeil, la question du lien entre texte et corps.... Etc... ce qui nous plait. Je m’aperçois aussi que tout est transversal et nous nous trouvons aussi très bien à cet endroit. (voir ce qui s’est dit avec Elisabeth et Serge); impossible de cerner un sujet de l’isoler.
Pour les ami e s... Parler de notre rythme du temps de ce qu’on ne peut pas  produire en terme de visibilité mais qui va se révéler de manière bien différentes au cours du temps.
Je me méfie de la précipitation, mais en effet il faudrait une chose claire et solide qui ancre cette fois notre relation au monde, avec un précipité de ce séminaire d’avril concret et important pour la suite... On ne peut pas avec nos ami e s tourner autour du pot indéfiniment en attendant etc ... Tant que nous n’avons pas fait “ce doc” je propose que l’on ne corresponde pas avec eux et tant pis pour le jour et l’heure. Oui on ne va pas non plus lambiner.
Bon pardon pour le coté envoyé mais nos derniers mails échanges m’aident à poursuivre nos réflexions pour une suite qui s’ancre dans une position qui nous ressemble.
Bises avec du soleil et du vent.

Véronique



Villiers le Bel, 19 mai 2015

Bonsoir les filles,

je vois que cette journée a été fructueuse !
De mon côté, il y a eu beaucoup de remous : beaucoup de tristesse ce matin, mais ça va un peu mieux maintenant.

Je suis d'accord avec le fait de trouver un autre nom que "compte-rendu", qui ne nous correspond pas, c'est vrai. Quelque chose autour du "récit" ? 
Je repense à l'expérience que nous avons traversée, un peu, d'écouter un rêve raconté par notre partenaire pendant qu'on la met en mouvement. 
"Chronique, éphéméride, nouvelle, journal" ? ... ou simplement : "correspondance" ?
Nous pouvons, effectivement, élaguer pas mal de choses du CR, notamment les réflexions internes et les projets. Ne garder que ce qui a été fait, échangé. Et pourquoi pas en effet relier les choses comme un récit ou, j'y reviens, une lettre, avec intro, entrées, et... coda ? lol

Bon, côté tristesse du matin, je partage avec vous. 
Je ne me sentais vraiment pas très bien, et de relire ces choses sur "danse et écriture", sur le livre, ça m'a déprimée. Ca m'a fait peur aussi : notre choix de lenteur, de ne pas précipiter, d'être dans un autre temps, un autre rythme...... c'est important, et en même temps je me dis que du coup, on se fera toujours devancer, on risque d'avoir toujours un train de retard. Car nous, on n'a ni les moyens, ni les soutiens, ni la visibilité, ni les lieux. Alors j'ai peur qu'on soit constamment reléguées, avec plus ou moins de condescendance, de "gentillesse". On n'intéresse ni l'institution, ni l'université, ni les lieux de danse. 
Je crois qu'il nous faut quand-même écrire vite ce que nous sommes, pourquoi, ce que nous voulons, comment, à quoi ça sert et à quoi ça ne sert pas. Sinon, à quoi bon les dormeuses ? 

Ce matin, il fallait vraiment que je serre les dents, le ventre, que je me donne des claques pour ne pas tomber dans les pièges, pour ne pas me dire que je suis pathétique. Je me pose beaucoup de question sur ma danse, sur ce que je fais et ne fais pas. Franchement, j'étais à deux doigts de tout laisser tomber et d'aller quémander un job chez "Flunch", au moins pour juillet-août.... Aïe aïe... !
C'est vrai ce que tu dis Véro, sur les "paroles de danseurs qui ne servent autre chose que le marché, y compris celui de la pensée du bon ouvrage de danse, le tout avec cette distance bien pensante que réclame la doxa."

Bon, j'ai vraiment besoin de vos paroles plus sensées que les miennes...
Je sais que nous avançons. Nous avons beaucoup à écrire. Je crois qu'il faut quand-même finaliser ce "CR" et l'envoyer. Ne serait-ce que pour aller jusqu'au bout de cette tache. Et puis reprendre le fil des correspondances, le texte sur les dormeuses, le sommeil, les lucioles, comme tu dis Véro. 
Nous devons aussi regrouper nos bios et un choix de correspondances pour le blog / site.

Je vous embrasse,

isabelle*



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Villiers le Bel, 2 juin 2015

Belles dormeuses,
comme je n'arrive pas à écrire autre chose pour l'instant, voici cette correspondance.
Je vous embrasse,
isabelle*

Chères dormeuses,

Voici un labyrinthe.
Lignes courbes, pierres et cailloux disposés délicatement et patiemment sur le sol
Espace préparé d’une clairière accueillante.


Je le vois, depuis l’arbre où je suis réfugiée.

Marcher tout autour, pieds nus ou chaussés, je peux
entrer
et suivre sa spirale libre, ludique.

Pas de mur infranchissable, pas de cheminement fermé. Suivre son tracé, c’est suivre mon désir.
Mille choses offertes sont à découvrir, mille formes et matières déplacent mes pieds,
plient mes genoux, courbent mon dos. Je respire,
je tourne et me retourne,
J’ouvre les yeux, étaient-ils fermés ?
Je m’arrête, j’écoute !
Mille odeurs me soulèvent
Vibrantes couleurs !
Mes bras s’allongent, mes mains s’ouvrent, mes doigts frémissent
Je me laisse mener
Je sais que je peux courir, traverser, piétiner, sautiller
Mon regard cherche, se précise et soudain éclate à l’infini !
L’espace ouvert fait tout danser
Tout respire, résonne, chante, bruisse.

Je touche le lointain et aussi le petit grain
D’un coquillage
Déposé par une vague très ancienne 
Il y a longtemps, très longtemps.
Elle revient aujourd’hui par la brise qui l’avait caressée,
Je la sens sur ma joue, dans mes cheveux, sur la peau de mes mains.

Voici le labyrinthe qui attend la danse d’un corps
pour trouver sa vie, son langage
Sa force bienveillante, sa douceur trébuchante
Sa poésie vivante
Sa lumière.

D’un bond je me pose en son centre, au cœur de sa spirale. Je me dépose et me love pour accompagner la courbe caillouteuse
Je ferme les yeux.
Herbe coupée, terre brune, feuillage humide,
dans l’instant par l’ombre apaisé, sur mes joues parfumées,

je suis la dormeuse au jardin.

isabelle*