Rencontres et séminaires
Quelle que soit la forme de ces rencontres, ces instants
sont décisifs dans notre développement, déclencheurs, car ouvrant à chaque fois
de nouvelles pistes de recherche ; la réflexion s’impose depuis
l’expérience en mouvement.
C’est au cœur de ces échanges que les dormeuses se
construisent, un petit peu comme un rêve, sans l’avoir voulu ni décidé. Sans
anticipation, nous suivons ce que la matière au travail nous souffle.
Les Séminaires du Sommeil, sont des moments
d’ouverture, de partage et de questionnements avec des invités : les ami e
s des dormeuses.
Il s’agit d’expérimenter ensemble, pratiquer, mener
des réflexions, lire à haute voix et se laisser déplacer par de nouveaux points
de vues.
Cette idée de séminaire est paradoxale, car voilà une
forme référencée, de type universitaire et religieuse - en tous cas, c'est à
cela que l'on pense, avec des titres de communication...une organisation
particulière…
L’étymologie de séminaire
nous renvoie cependant à graine, pépinière.
L’action de semer.
Mais que semons nous ?
Des anti dogmes ? Des dérapages ?
L’action même de semer ?
Il s'agit là d'une proposition de danseuses, artistes
chorégraphes, dont les formes de communications, d'échanges, naissent dans
l'atelier avant tout, avec la liberté que cela implique, et un certain rapport
aux autres.
Tout cela n'est pas contradictoire avec la capacité de
construire des contenus, une rigueur- mais en mouvement. L'outil primordial est
bien celui du mouvement.
Et c'est aussi pour défendre cette vision là que nous
souhaitons proposer ces Séminaires : donner plus de place à la recherche depuis
les outils artistiques, poétiques -de la danse en particulier- s'autoriser à penser,
écrire le monde depuis nos propres outils et références.
Raconter
Si la correspondance est centrale
dans notre relation à l’écrit, il s’agit ici d’une autre forme. L’intention est
de raconter, simplement, chacune de ces rencontres ou séminaires à partir des
traces écrites -notes, compte rendus, correspondances- retraversées par notre
mémoire.
Le temps d’avant: Séminaire en mouvement
Du 11 au 13 juin 2011 Organisé par l’Association Sentiers
Aujourd’hui, dans
nos démarches, quelles sont les traces de la pensée de Laurence Louppe ?
« … Après le choc de la volatilisation de Laurence, puis le long
constat de son absence, sa parole nous manque et nous semble indispensable.
La question est peut-être... comment l'entendre encore, comment cette
parole peut nous mettre encore au travail, physiquement et mentalement, car il
y a de l'ouvrage...
et comment cette parole peut constituer peut-être une balise, un rappel
pour une éthique dans ce travail qu'il nous reste à faire.
Aussi, je propose à quelques personnes choisies pour leurs liens
particuliers avec Laurence, sa formation, Sentiers, Marie-Claire et moi, de
partager trois journées.
Trois jours, comme il est d'usage à Sentier, où nous mettons de côté nos
certitudes et ce que nous représentons, pour être et agir directement avec nos
qualités humaines; sans filtres, dans la confiance et la chaleur.
Trois jours d'échanges, d'écoutes, de lectures et de pratiques dans les
traces de la formation de Laurence Louppe. » Laurence Saboye 16 décembre 2010
Moments partagés sous un arbre,
autour de l’église de Lamelouze, questionnements sur les traces de l'enseignement
de Laurence Louppe, moments de pratiques, d'expérimentations, d'écoutes, de
lectures, d'échanges de travaux. Témoignages sur son accompagnement.
Nous avons essayé de formuler une
éthique concernant à la fois notre relation à l’œuvre de Laurence Louppe et aux
travaux que nous pourrions mettre en place ensemble. Beaucoup de questions ont
été soulevées : la question des archives, de la transmission, de la
reconnaissance, des outils d’accès à son travail, mais aussi la culture
chorégraphique et la création.
Moment de lecture à haute voix de
« Piège pour un espoir » de Laurence Louppe Art Press n°168 1992.
Moment de célébration autour de danses de la Renaissance, Gaillardes et Pavanes,
dansées ensemble dans le cœur de l’église.
Comment faire une suite ?
Le désir d’ouvrir des rencontres
autour de la pensée de Laurence Louppe dans le réseau de Sentiers et des
anciens élèves d’Aubagne se conjugue à la crainte que cette rencontre confisque
des paroles autres sur, autour, et à partir de Laurence Louppe. Comment cette
transmission vers l'extérieur pourrait elle être juste et fructueuse? Sans
devenir une sorte de club, ou devenir le support de nouveaux dogmatismes?
Les dormeuses n’existent pas encore, et c’est au cœur de ces trois jours
que se dessine le désir pour certaines d’entre nous d’explorer d’avantage le
travail opéré par les traces de l’accompagnement de Laurence Louppe que de
travailler sur l’accès aux traces elles-mêmes en terme d’archives.
« La trace c’est nous aussi. » Isabelle Dufau
Participantes: Isabelle
Dufau, Laurence Saboye, Marion Baë, Véronique Albert : danseuses chorégraphes
ayant suivi la formation Culture chorégraphique initiée par Laurence
Louppe, Cathy Deplee, Marianne Fillioux Vigreux : chercheurs en danse ayant
suivis la formation Culture chorégraphique initiée par Laurence Louppe, Joêlle
Vellet : enseignant chercheur en danse, Marie-Claire Gelly : présidente
association Sentiers.
Le commencement: devenir les dormeuses
Du 28 avril au 2 mai 2012 à Font
Rouvier
La question immédiate de cette
rencontre est celle de « la suite » : comment poursuivre une
poétique de la danse contemporaine concrètement.
A partir d’un état des lieux des
politiques culturelles, des dispositifs nous faisons le constat d’un
rétrécissement et d’une dévitalisation.
Marion
nous rappelle : « On nous a confisqué les forces » Laurence
Louppe
Véronique : « les
forces des enjeux poétiques »
Laurence :
« les forces des corps »
Nous nous accordons sur la
nécessité de créer notre propre espace pour être opérantes et sur l’urgence
d’une réponse collective et surtout artistique.
Nous expérimentons ensemble et nous observons depuis
la pratique ce que pourrait devenir ce projet.
Durant ces quelques jours nous
sommes continuellement ensemble. Nous alternons des moments de pratique,
discussions, lectures partagées et commentées, écoute de documents sonores de
Laurence Louppe, promenades, vaisselle, cuisine, mettre la table… manger, suivre
le soleil, les moutons dans leur course, s’amuser. Au point que nous ne savons
plus très bien la limite entre la pratique et la pensée.
Ecoute
de documents sonores: « Introduction aux théories modernes de
l’esthétique » Aubagne août 2001 et « Le Delsartisme » Aubagne janvier
2002.
Lecture à voix haute du
premier chapitre de « Poétique de la danse
contemporaine » de Laurence Louppe intitulé « Les raisons d’une
poétique ». Pendant deux jours nous revenons régulièrement sur cette
lecture. Le texte est complexe et d’une grande densité. Nous avons envie de
l’étudier sur toutes ses facettes, ne pas en manquer une goute. Et c’est là que
nous prenons position pour une étude poétique de la danse contemporaine et non
pas une étude esthétique. Non pas qu’elle ne soit pas intéressante, mais elle
est dominante avec ses références philosophiques, et il y manque la
considération équilibrée entre la fabrique de la danse et sa réception. La
poétique telle que la construisait Laurence Louppe est issue du champ littéraire
plus attaché au sensible qu’aux concepts.
Que sommes-nous ?
Nous ne sommes pas une
association, mais un groupe identifié tout de même.
Devons-nous prendre un
nom ?
Nous mettons un tableau
pour écrire comme cela vient, sur les deux jours restant, des noms possibles. Se
dépose: « Les dormeuses ».
Ce mot nous plait, car il
est inactuel et ne semble pas récupérable.
Il nous rappelle que
Laurence nous disait que nous pouvions dormir dans ses cours, car elle savait
que quelque part nous entendions.
Le sommeil fait son
travail et opère une transformation de l’être.
Que faisons-nous ?
Nous échangeons autour de
pratiques et moments théoriques.
Nous cherchons un espace
où écrire sur la danse depuis la danse.
Nous ne répondons pas aux
critères universitaires et nous ne souhaitons pas nous y conformer ici. Le
danseur peut porter une parole qui ne soit pas exclusivement témoignage. Il est
chercheur, il possède ses outils qu’il peut mettre comme d’autres au service de
lectures et compréhension du phénomène chorégraphique et plus largement,
artistique.
Nous choisissons la forme
« correspondance », car la subjectivité fait partie de cette forme.
Il est donc possible dans cette forme de s’appuyer sur notre ressenti pour
comprendre et écrire. Ceci, donc, en relation avec la notion de
« poétique ».
Quelle est notre relation
à Sentiers ?
Elle est privilégiée, naturelle,
désirée, faite d’échanges, de regard…
Nous partageons la
pratique de l’expérimentation suivie du récit.
Nous questionnons le travail
sur l’écrit en danse.
Propositions de
performance et partage de réflexions pour la journée du 20 avril 2013 en
projet ; journée consacrée à Laurence Louppe, co-organisée par Sentiers et le Cratère.
Nous construisons une proposition :
« Nous
nous interrogeons sur ce que pourraient être les modalités et les conditions
d'intervention, de quelles manières innover, inventer dans l'esprit de
Laurence. Il s'agit de s'interroger sur les questions qui concernent la
réception. En particulier comment les intervenants vont se
positionner et positionner leurs expériences et savoirs. Nous
souhaitons par là proposer (aux publics) d'autres types de communications
moins formels qui ne relèvent pas seulement de ce qui s'est beaucoup développé dans
les dispositifs habituels, salles-publics, mais trouver, créer une dynamique
qui prenne en compte l'invention d'un dispositif pour chaque projets
propositions.....
Nous
aimerions proposer une performance à partir des lectures de Poétique... et de
l'objet livre. Lectures multiples qui s'appuieraient sur une partition
avec comme intention entre autre de créer un maillage entre les
différents intervenants, organisateurs, et participants.
Deux
jours sont peut être préférables au regard de l'importance de l'évènement, comme
des temps de transitions, et pour laisser place à l'informel.
une nuit
...... Laisser la place à l'informel »
Participantes: Isabelle
Dufau, Laurence Saboye, Marion Baë, Véronique Albert
1er séminaire du
sommeil
Du 13 au 15 août 2013 à Montpellier.
Séance dans les fauteuils du salon de lecture des dormeuses.
Dans la tranquillité, autour du thé, du café, fruits
et biscuits, nous sommes trois dorénavant: Isabelle Dufau, Laurence
Saboye, Véronique Albert.
Il
s’agit de la première rencontre en tant que dormeuses, et de
poursuivre notre recherche à trois.
Nous
sommes très différentes, mais le désir de construire un lien autour d’une
recherche commune est plus fort. Ce n’est pas facile, nous sommes éloignées géographiquement,
nous avons nos activités particulières. Que construisons-nous ? Pour le
moment : du possible.
Nous venons de vivre cette
journée du 20 avril 2013 co-organisée par Sentiers et le Cratère intitulée « Laurence Louppe, un héritage sensible
et théorique ».
Nous faisons le point sur ce qui
s’est déroulé lors de notre première expérience ensemble d’action poétique « Les femmes qui lisent sont dangereuses,
et celles qui dansent… ». Nous revenons sur le thème de la table ronde
proposé par Joelle Vellet : « Ecrire sur la danse, écrire pour la danse ». Le thème nous titille. Nous aimerions poursuivre, partager ce
questionnement.
Nous écoutons des pièces pour
théorbe de Robert de Visée.
Il s’agit de la première
référence au sommeil dans nos échanges ; référence que nous avons envie de
creuser.
Moment de lecture à voix haute de
notre correspondance.
C’est étrange de lui donner du
corps et de faire disparaître tout à coup la distance, car nous sommes à bout
de bras les unes des autres.
Nous avons rapproché les
fauteuils. La chaleur du thé laisse place à la douce chaleur de nos présences.
Cette parole liée à l’expérience directe, transmise par la forme
correspondance, c’est exactement ce que nous souhaitions. Elle nous permet
toutes les libertés et multiplie les axes d’observation. Elle nous met en lien
avec la poétique en tant qu’actrices du chorégraphique et en tant que
spectatrices aussi.
Nous avons de l’ouvrage :
Nous décidons de construire des
outils pour permettre à d’autres de lire cette correspondance ou de les
entendre et pourquoi pas de nous rejoindre.
Nous organisons un projet de
Séminaire autour de la question de notre nom : les dormeuses.
Nous projetons de proposer et
construire avec d’autres groupes intéressés un séminaire sur la question :
Danser l’écrit, écrire la danse.
Nous sommes responsables du collectage
des traces de la journée « Laurence
Louppe, un héritage sensible et théorique » pour Sentiers.
The
recitation
Thomas Wilmer Dewing 1891
Detroit Institut of Arts
La liseuse
Valloton 1922
Femme endormie dans un fauteuil
Picasso 1932
2ème séminaire du
sommeil
du 7 au 11 avril 2015 au CND
Pantin
Retrouvailles qui nous ont permis de réfléchir sur
cet état créatif du repos, sur les nombreuses correspondances qu’il opère dans
l’art, la littérature et la danse, et par là même nous interroger sur notre
propre nom : les dormeuses.
Des invités nous ont rejointes, Elisabeth Schwartz
et Serge Papiernik, avec qui nous avons pu tisser une parole sur le rêve, le désir,
l’hypnose, l’imaginaire, le symbolique et le réel, le réveil. De la poésie
chevaleresque au geste dansé de Madeleine G. ou de l’Atys de J-C. Paré, des
textes entre-autres de Didi Huberman, Montaigne, Julia Kristeva, Laurence
Louppe aux expériences de Sophie Calle, des oeuvres de l’histoire de la danse
aux corps dansant aujourd’hui, le sommeil apporte ressources, déplacements,
inventivité, et nous met en mouvement. Nous avons ainsi mis en évidence la nécessité
de repenser nos relations au monde, la temporalité de nos actions, notre qualité
de présence à notre milieu et à la danse. Les questions que nous avons partagées
continuent à susciter cette envie vivifiante de poursuivre notre démarche et de
la partager.
"J'ai
repensé hier à notre séminaire. Je me rends compte comme il est important que
l'on se rencontre, physiquement.
Nous
avons eu des attentes, des ratés, des surprises agréables, des déceptions. Et
aussi des temps d'écoute, de paroles et de lectures très riches et
constructifs. Des rencontres nourrissantes. Il y a ce que nous n'avons pas réussi
à faire, et tout ce que nous avons ouvert. Tout cela amène le mouvement, les
songes, et de belles perspectives pour la suite.
"Ratez,
ratez encore, ratez mieux !" dirait Beckett. Nous apprenons avec nos
failles, nos manques. Nous arrivons, petit à petit, à sentir ce que nous
pouvons faire, à comprendre la nature et la force de notre sommeil.
Nous
écrivons chacune à notre façon les traces, les impressions de ce que nous
traversons et avons traversé. Puis nous pouvons mettre nos mots en commun, dans
notre espace et notre temps du songe, pour les restituer au monde.
…
Ensemble,
nous avançons vraiment, nous tissons des passerelles pour la danse. Une danse en
sommeil et à venir.
Dormeuses
encore discrètes, au souffle infime, subtil, nous sommes tout de même présentes.
Quelle est cette présence, comment se déplace-t-elle, que peut-elle déplacer ?
Le sommeil nous offre, en fait, une large palette de mouvements possibles, de
présences possibles. Nous en avons évoqué quelques unes à travers nos lectures,
les musiques écoutées, les images.
…
Quelle
est notre spécificité ? Quelle est la singularité du travail que nous
souhaitons mener, de notre parole, de nos actes, de notre écriture ?
…
Quel
est le mouvement du sommeil, de notre sommeil ? Quelle en serait la visibilité
désirée, propice, agréable ?"
Isabelle, extraits de
la correspondance du 14 avril 2015
Photos des dormeuses - CND