"En
rêve, simplement je suis. Je vis "actuel", un sempiternel actuel. Il
n'y a guère de "plus tard", et juste ce qu'il faut
d'"auparavant" pour qu'il y ait cet "à présent" que je vis,
ou auquel j'assiste."
extrait de
"Façons d'endormi, façons d'éveillé"
Henri Michaux 1969
"C'est
à ce chêne qu'il l'attacha et tandis qu'il restait allongé là, peu à peu cet
émoi en lui et autour de lui s'apaisa, les petites feuilles restèrent
suspendues, les cerfs s'arrêtèrent; les pâles nuages d'été persistèrent; ses
membres se firent plus lourds sur le sol; et il gisait si immobile que peu à
peu les cerfs s'approchèrent et les corneilles se mirent à tourner autour de
lui et les hirondelles plongèrent et tournoyèrent et les libellules passèrent
en éclair, comme si toute la fertilité et l'activité amoureuse d'un soir d'été
tissait une fine toile autour de son corps."
extrait
d'"Orlando"
Virginia Woolf, 1928
"Où cela
s’efface-t-il ? Qui efface ? Comment ? Est-ce que cela s’efface directement sur
le corps? Est-ce qu’on efface
certaines strates de corps, avant de pouvoir même simplement effacer le dernier
reste possible, qui serait un reste insécable ? Est-ce que, avant d’effacer définitivement
le corps, il n’y aurait pas une sorte de représentation meurtrière, qui
voudrait jusqu’à effacer d’abord tout ce qui fait visage, tout ce qui fait expressivité,
tout ce qui fait singularité dans le corps ?
La sensation
que j’ai, c’est que la danse contemporaine, celle qui est apparue à la fin du
XIXe et au début du XXe siècle, a eu une sorte de conscience extrêmement aiguë
et presque désespérée, mais, aussi incroyablement inventive, pour trouver des
forces qui conjureraient cette sorte d’intérêt mortel que la chirurgie et
l’hôpital militaire portent sur le corps et sur l’anatomie.
Comment
danser, quand on sait qu’à côté de soi des systèmes se mettent en place, des
dispositifs militaires ou industriels ou économiques dont on se dit qu’ils
n’ont pas comme objectif de préserver le corps d’un certain mal, d’une certaine
douleur ?"
Extrait d'un texte de Daniel Dobbels "Gagner un geste chaque jour"
in Quant à la danse, dossier, n°2, coéditions Images, En Manoeuvre Editions / Le Mas de la Danse, juin 2005, p. 84-85.
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*
déploie les fastes
de sa mémoire »
Giacinto Scelsi, 1955
Giacinto Scelsi, 1955
*
Le
Sommeil
Dormons,
dormons tous,
Ah que
le repos est doux !
Morphée
Régnez,
divin Sommeil, régnez sur tout le monde,
Répandez
vos pavots les plus assoupissants ;
Calmez
les soins, charmez les sens,
Retenez
tous les coeurs dans une paix profonde.
Phobetor
Ne vous
faites point violence,
Coulez,
murmurez, clairs Ruisseaux,
Il n'est
permis qu'au bruit des eaux
De
troubler la douceur d'un si charmant silence.
Le
Sommeil, Morphée, Phobetor, et Phantase
Dormons,
dormons tous,
Ah que
le repos est doux !
de Philippe Quinault
Dans Atys, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault, 1676
Dans Atys, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault, 1676
*
« Assise, la fileuse au bleu
de la croisée
Où le jardin mélodieux se
dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle
l’a grisée.
Lasse, ayant bu l’azur, de
filer la câline
Chevelure, à ses doigts si
faible évasive,
Elle songe, et sa tête
petite s’incline. […]
Mais la dormeuse file une
laine isolée ;
Mystérieusement, l’ombre
frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs
et qui dorment, filée.
Le songe se dévide avec une
paresse
Angélique, et sans cesse, au
doux fuseau crédule,
La chevelure ondule au gré
de la caresse... »
Paul Valéry – « La fileuse »
dans "La Conque", 1891
*
Extrait d'une correspondances de Françoise Dupuy, "Un langage quotidien",
Rennes, le 20 février 1981 :
*
Les techniques du corps de Marcel Mauss
Sociologie
et anthropologie
4. Techniques de l'âge
adulte.
Pour inventorier celles-ci,
on peut suivre les divers moments de la journée où se répartissent les
mouvements coordonnés et arrêts.
Nous pouvons distinguer le
sommeil et la veille et, dans la veille, le repos et l'activité.
1) Techniques du sommeil. - La notion que le coucher est quelque chose de naturel est complètement inexacte. Je peux vous dire que la guerre m'a appris à dormir partout, sur des tas de cailloux par exemple, mais que je n'ai jamais pu changer de lit sans avoir un moment d'insomnie : ce n'est qu'au deuxième jour que je peux m'endormir vite.
Ce qui est très simple,
c'est que l'on peut distinguer les sociétés qui n'ont rien pour dormir, sauf «
la dure », et les autres qui s'aident d'instrument. Là « civilisation par 150
de latitude » dont parle Graebner 1 se caractérise entre autres par
l'usage pour dormir d'un banc pour la nuque. L'accoudoir est souvent un totem,
quelquefois sculpté de figures accroupies d'hommes, d'animaux totémiques. - Il
y a les gens à natte et les gens sans natte (Asie, Océanie, une partie de l'Amérique).
- Il y a les gens à oreillers et les gens sans oreillers. - Il y a les
populations qui se mettent très serrées en rond pour dormir, autour d'un feu,
ou même sans feu. Il y a des façons primitives de se réchauffer et de chauffer
les pieds. Les Fuégiens, qui vivent dans un endroit très froid, ne savent que
se chauffer les pieds au moment où ils dorment, n'ayant qu'une seule couverture
de peau (guanaco). - Il y a enfin le sommeil debout. Les Masaï peuvent dormir
debout. J'ai dormi debout en montagne. J'ai dormi souvent à cheval, même en
marche quelquefois : le cheval était plus intelligent que moi. Les vieux
historiens des invasions nous représentent Huns et Mongols dormant, à cheval.
C'est encore vrai, et leurs cavaliers dormant n'arrêtant pas la marche des
chevaux.
Il y a l'usage de la
couverture. Gens qui dorment couverts et non couverts. Il y a le hamac et la façon
de dormir suspendu.
Voilà une grande quantité de
pratiques qui sont à la fois des techniques du corps et qui sont profondes en
retentissements et effets biologiques. Tout ceci peut et doit être observé sur
le terrain, des centaines de ces choses sont encore à connaître.
*
« J'aime dormir: je n'éprouve le sommeil ni comme repos ni comme
un spectre de la mort. Aux nuits opaques de mon enfance avaient beau succéder
les rêves colorés d'une jeunesse agitée d'intrigues sexuelles, forcément
sexuelles, Freud a tout dit à ce sujet; la mort tragique de mon père -assassiné
par la médecine communiste qui faisait des expérimentations sur les vieillards,
puis incinéré par un athéisme borné qui n'offrait de tombe au croyant qu'il fut
que si sa fille, passablement renommée, acceptait de le rejoindre dans la
sépulture offerte seulement à ce prix - avait beau creuser le pli d'une
insomnie régulière, deux heures après minuit tapant, depuis combien d'années
déjà? - rien n'y fait. le sommeil est ma seconde patrie. Seconde langue.
Seconde nature. Frère et soeur, jumeau-jumelle, fuyant mais proche, éprouvant
et cependant nourricier, étranger que je crois pourtant m'être propre et ce
propre qui néanmoins m'échappe comme un étranger: le sommeil m'a toujours été
refuge, source et recommencement. Serait-ce la raison pour laquelle, ayant
apprivoisé cet étranger pour le meilleur et pour le pire, je n'ai jamais hésité
à vivre à l'étranger, avec des étrangers, en étrangère?
Je ne comprends pas le poète qui frémit de percer "les portes
d'ivoire ou de corne" qui séparent le dormeur du "monde
invisible" (Nerval). J'adore, au contraire, m'abandonner aux bras
pneumatiques du sommeil, porter cette vague qui me porte, me sentir pénétrante
et pénétrée, féminine-masculine, couple parfait parce que jamais en paix, éternelle
poursuite, heureuse échappée, discordance insoluble, le somme comme un des
beaux arts. »
Julia Kristeva, juillet 2008
Extrait de « Ma vie en dormant », texte écrit pour
l'exposition « Promenades insomniaques »
Galerie Passage de Retz, Paris
Galerie Passage de Retz, Paris
*
*
"Mon
corps, en fait, il est toujours ailleurs, il est lié à tous les ailleurs du
monde, et à vrai dire il est ailleurs que dans le monde. Car c’est autour de
lui que les choses sont disposées, c’est par rapport à lui – et par rapport à
lui comme par rapport à un souverain – qu’il y a un dessus, un dessous,
une droite, une gauche, un avant, un arrière, un proche, un lointain. Le corps
est le point zéro du monde, là où les chemins et les espaces viennent se
croiser le corps n’est nulle part : il est au coeur du monde ce petit noyau
utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les
choses en leur place et je les nie aussi par le pouvoir indéfini des utopies
que j’imagine. Mon corps est comme la Cité du Soleil, il n’a pas de lieu, mais
c’est de lui que sortent et que rayonnent tous les lieux possibles, réels ou
utopiques."
Extrait de «
Le Corps utopique » de Michel Foucault
*
« La
telline est un petit coquillage plat, à deux valves (autrement dit
brachiopode), familier des plages du littoral du pays d'Arles. Habitée par un
petit mollusque à la chair délicieuse, elle est prompte à la détente, ce qui
lui donne la faculté de s'enfouir dans le sable à la seconde où s'annonce le
moindre danger. Visible ou invisible, elle vit. Désertée par son locataire,
privée de sa source d'énergie propre, la coquille traine sur le sable,
ballottée par le va-et-vient de la vague. Un autre occupant surviendra-t-il,
bernard-l'hermite, qui lui insufflera un mouvement vital ?
Ce qui
demeure,
Ce qui
meurt,
That is the question. »
Extrait de "Domaine de la mémoire, espace
d'oubli." Dominique Dupuy, communication au colloque "La mémoire
et l'oubli", Festival d'Arles 1989.
*
« Et
d'abord, les lucioles ont-elles vraiment disparu? Ont-elles toutes disparu?
Emettent-elles encore - mais d'où? - leurs merveilleux signaux intermittents?
Se cherchent-elles encore quelque part, se parlent-elles, s'aiment-elles malgré
tout, malgré le tout de la machine, malgré la nuit obscure, malgré
les projecteurs féroces? »
Extrait des
"Survivances des lucioles" de Georges Didi-Huberman
*
"Mon
corps, en fait, il est toujours ailleurs, il est lié à tous les ailleurs du
monde, et à vrai dire il est ailleurs que dans le monde. Car c’est autour de
lui que les choses sont disposées, c’est par rapport à lui – et par rapport à
lui comme par rapport à un souverain – qu’il y a un dessus, un dessous,
une droite, une gauche, un avant, un arrière, un proche, un lointain. Le corps
est le point zéro du monde, là où les chemins et les espaces viennent se
croiser le corps n’est nulle part : il est au coeur du monde ce petit noyau
utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les
choses en leur place et je les nie aussi par le pouvoir indéfini des utopies
que j’imagine. Mon corps est comme la Cité du Soleil, il n’a pas de lieu, mais
c’est de lui que sortent et que rayonnent tous les lieux possibles, réels ou
utopiques."
Extrait de «
Le Corps utopique » de Michel Foucault
*
« La
telline est un petit coquillage plat, à deux valves (autrement dit
brachiopode), familier des plages du littoral du pays d'Arles. Habitée par un
petit mollusque à la chair délicieuse, elle est prompte à la détente, ce qui
lui donne la faculté de s'enfouir dans le sable à la seconde où s'annonce le
moindre danger. Visible ou invisible, elle vit. Désertée par son locataire,
privée de sa source d'énergie propre, la coquille traine sur le sable,
ballottée par le va-et-vient de la vague. Un autre occupant surviendra-t-il,
bernard-l'hermite, qui lui insufflera un mouvement vital ?
Ce qui
demeure,
Ce qui
meurt,
That is the question. »
Extrait de "Domaine de la mémoire, espace
d'oubli." Dominique Dupuy, communication au colloque "La mémoire
et l'oubli", Festival d'Arles 1989.
*
« Et
d'abord, les lucioles ont-elles vraiment disparu? Ont-elles toutes disparu?
Emettent-elles encore - mais d'où? - leurs merveilleux signaux intermittents?
Se cherchent-elles encore quelque part, se parlent-elles, s'aiment-elles malgré
tout, malgré le tout de la machine, malgré la nuit obscure, malgré
les projecteurs féroces? »
Extrait des
"Survivances des lucioles" de Georges Didi-Huberman